Mon nouveau livre ayant pris une tournure très nomade, j’ai lu L’Homme nomade d’Attali. Les sept premières parties racontent notre histoire du point de vue des nomades. C’est une collection de dates, de noms de tribu, une longue liste de copier-coller de Wikipedia. Un survol sans profondeur qui a le mérite d’éveiller parfois la curiosité, jamais de l’étancher (tout cela sent le travail de quelques nègres).
Attali a repris l’idée d’une Alternative Nomade de Chatwin sans lui apporter aucun crédit. Je suis même pas sûr qu’il l’ait lu. Il liste en passant, avec d’autres, sans s’arrêter, pressé.
Attali part du constat que nous avons été nomades pour l’essentiel de notre histoire jusqu’à la révolution néolithique il y a 10 000 ans. Nous serions à nouveau en train de redevenir nomade. L’état sédentaire n’aurait été qu’un épiphénomène. C’est ni plus ni moins que la thèse que Chatwin a formulée pour la première fois en 1969.
Dans les deux dernières parties, Attali prend enfin la parole et tombe dans son travers habituel : « Il semble aujourd’hui possible de discerner l’avenir le plus lointain sans rien connaître du détail des prochains évènements. » Noter la façon adroite de retomber sur ses pieds pour ne pas être pris en faute flagrante.
J’ai déjà souvent dit combien je trouvais cette rhétorique malhonnête. Jouer à prévoir l’avenir pourquoi pas mais annoncer que c’est une science, c’est insupportable, une façon de berner les imbéciles. En plus ça fait vendre parce que les gens attendent des oracles.
Je suis un popperien. Est scientifique une théorie falsifiable. Les prévisions d’Attali ne le sont pas car il faut attendre l’avenir, toujours situé loin, pour savoir s’il aura raison. Nous ne pouvons nous-mêmes les falsifier et, le jour où ce sera possible, Attali ne sera plus là. Tout le monde s’en fichera. En conséquence, Attali abuse de la technique.
On ne peut prévoir que les évolutions linéaires, celles qui reviennent à prolonger les courbes existantes. Mais face à des bouleversements historiques cette méthode est vaine. Ainsi dans ce livre de 2003 Attali passe à côté de la crise du capitalisme. Il croit que les entreprises dépasseront les États, se déferont d’eux. C’est tout le contraire qui s’est produit avec les banques en 2008 et ça recommencera (est-ce un détail ?).
Attali imagine la fusion des sédentaires et des nomades, il parle de transhumains. Moi je crois que nous basculons déjà dans un état qui intègre et transcende le sédentarisme et le nomadisme. C’est le « transcende » qui est important. Quelle est la nouveauté radicale, celle qui provoque la rupture, celle qui équivaut à la sédentarisation à l’époque néolithique ? Le flux. Le fait que l’information soit en train de devenir liquide.
Attali nous décrit un monde où le flux n’existe pas. Il évoque bien le nomadisme virtuel grâce à Internet mais il ne voit pas que nous avons inventé un nouveau territoire où nous nomadiser, un territoire qui pour nous n’a rien de virtuel. Ce texte est-il virtuel ? Êtes-vous virtuels ?
Pour Attali, l’argent, la foi et la liberté sont les valeurs des nomades. Le sédentaire aurait le sens du long terme et de la nature. N’est-ce pas plutôt le contraire ? La plupart des nomades justement ont souvent attaché beaucoup d’importance à préserver la terre. Attali dit encore que l’éducation, la santé et la protection de l’identité sont le propre du sédentaire. Douteux, contestable, faux.
La liberté vaut pour le nomadisme dans le flux mais l’argent et la foi, je ne vois guère. En même temps, par instant, Attali dit des choses pas absurdes : « […] chacun puisera, pour se construire, une morale personnelle, tout en reconnaissant aux autres le droit d’en faire autant. Sa culture, sa profondeur philosophique, sa morale participeront ainsi à la diversité des éthiques à venir. » Ni plus ni moins que le relativisme prôné par les postmodernes durant les années 1990. Mais pourquoi écrire au futur ?
Attali reste englué dans la démocratie contemporaine comme si elle ne pouvait pas évoluer. Il pense trop à l’Amérique, à la Chine, à l’Islam… comme si à force de lire la presse il ne pensait plus qu’à ce dont parle la presse. À le lire, j’ai l’impression que nous aurions atteint cette fin de l’histoire théorisée par Fukuyama. À force de lister les invasions nomades, Attali croit que c’est de l’extérieur que vient toujours le changement. Il oublie la possibilité de l’insurrection. Je crois ainsi que c’est de l’intérieur que le changement actuel arrive (et je ne parle pas au futur). Les sédentaires se nomadisent. Ils changent de terrain de jeu et de règles de jeu en passant au flux (le flux est-il un détail ?).