Beaucoup de voix s’élèvent pour exiger la totale transparence des données gouvernementales. Je me suis souvent positionné dans le camp de ces intégristes de la transparence avant d’aboutir à une position plus nuancée.
J’ai déjà insisté sur le fait que la transparence totale pour un individu, une entreprise, ou même une communauté open source, n’était pas la panacée, du moins dans une première phase. La transparence totale, c’est-à-dire immédiate, implique la dissolution des données dans l’espace informationnel. Dans certains cas, il faut laisser les choses mûrir avant de les exposer à la critique générale. C’est vrai pour tous les citoyens, élus ou pas.
Cette obscurité qui favorise les mutations créatrices peut favoriser des mutations pernicieuses. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. En tant qu’auteur, je veux pouvoir travailler mes textes un minimum dans le secret. Je peux m’amuser à tout écrire en direct sur Wave ou sur Twitter comme avec Croisade mais cela reste une expérience. Je n’envisage pas d’avoir une webcam au-dessus de mon clavier en permanence (surtout avec mes horribles fautes d’orthographes).
Donc imaginons qu’un cinquième pouvoir s’installe, qu’ils prennent de l’importance, un pouvoir fait d’individus… il ne pourra pas être totalement transparent car chacun des individus ne pourra pas l’être sous peine de se banaliser. Alors exiger la totale transparence d’un gouvernement centralisé me paraît déplacé, et même utopique. Il suffit de voir Obama qui ouvre d’un côté, s’apprête à verrouiller de l’autre.
Nous devons avoir un droit à la transparence. Par exemple, quand je donne de l’argent à une banque, je dois pouvoir exiger qu’elle me dise exactement ce qu’elle fait de mon argent. Ce serait pas mal de commencer par un tel droit. Mais nous ne pouvons décemment pas vivre dans un monde totalement transparent. Car où commencer la transparence, où la terminer ? Nous nous trouvons dans la fameuse situation du curseur difficile à positionner.
Lorsque tout tend à passer du côté du visible, comme c’est le cas dans notre univers [La sexualité par exemple], que deviennent les choses jadis secrètes ? se demande Baudrillard. Elles deviennent occultes, clandestines, maléfiques : ce qui était simple secret, c’est-à-dire donné à s’échanger dans le secret, devient le mal et doit être aboli, exterminé.
La prohibition du secret ne peut qu’augmenter le nombre de secrets. Sous prétexte de tout montrer, on risque de cacher des choses plus obscures et, pour avoir des choses à cacher, il faudra commettre des actes eux-mêmes peu avouables.
Ce serait la transparence elle-même qui serait le Mal – la perte de tout secret, continue Baudrillard. Tout comme, dans le « crime parfait », c’est la perfection elle-même qui est criminelle.
Il faut donc jouer de la lumière et de la pénombre. Lawrence Lessig attire l’attention vers les dangers de la transparence. Je ne suis pas d’accord avec lui quand il insinue que trop données tue les données et risque d’induire des interprétations douteuses. Je pense que si on nous donne des données, nous apprendrons à les lire. Je ne doute pas de notre intelligence collective, je ne crois pas les experts plus intelligents que les foules.
En revanche, j’imagine bien la situation où dans une ville nous connaissons exactement les chiffres de la criminalité rue par rue, immeuble par immeuble. J’imagine comment les prix de l’immobilier pourraient varier. Comment les zones à risques se transformeraient en ghetto et deviendraient de plus en plus dangereuses. Certaines connaissances peuvent nous faire plus de mal que de bien. Voulez-vous connaître l’heure de votre mort ?
La technologie permet la transparence ce n’est pas une raison suffisante pour tout rendre transparent. Nous avons le droit au secret. Et si nous avons ce droit individuellement, nous ne pouvons faire autrement que de garantir aussi le secret des entités collectives. Cela signifie que nous devons décider des données à rendre transparentes, de celles qu’il est préférable de garder secrètes, tout au moins dans l’instantanéité. A posteriori les secrets ont peu d’intérêt.
Notes
- Je n’ai jamais fondé le cinquième pouvoir sur la transparence mais sur notre capacité à décentraliser les pouvoirs. Nous n’avons rien à demander au pouvoir existant, pas même la transparence.
- La technologie peut nous apporter le pire comme le meilleur. Nous devons nous battre pour le meilleur tout en évitant le pire.