La philosophie intégrale, fondée par Ken Wilber, m’attire et me repousse en même temps. Depuis que je l’étudie, je sens qu’elle est inconsistante comme j’ai déjà tenté de l’expliquer. Le sujet m’est revenu à l’esprit durant la journée sur l’intelligence collective organisée par TheTransitionner et Jean-François Noubel.
Pour Wilber, nous devons nous-mêmes procéder à un développement intégral, c’est-à-dire développer notre esprit aussi bien que notre corps, en ne négligeant aucun des plans de l’existence. Ainsi Jean-François nous a fait travailler le corps, le mental et l’esprit simultanément.
Il m’a fait sentir combien je négligeais certains domaines auxquels j’attachais jadis plus d’importance. Il m’arrive trop souvent de me faire avaler par mon PC. Et c’est avec difficulté que je m’en arrache pour aller me promener en garrigue. Et, même quand j’y vais, je suis aujourd’hui incapable d’y traîner pendant des journées entières juste pour chercher le bon endroit où peindre une aquarelle. Je vis une espèce d’impatience perpétuelle.
J’ai pris conscience de ce travers et je travaille à le dépasser, toutefois je n’envisage pas devenir un philosophe intégral. Il me paraît invraisemblable de cultiver tous les plans existentiels possibles, selon une espèce d’éclectisme universel. Comment, en même temps, épanouir sa vie sexuelle, familiale, artistique, intellectuelle, politique, économique, physique, spirituelle… et, dans chacun de ces domaines, approfondir chacune des milliers de possibilités ? C’est tout simplement impossible.
J’ai pourtant fait l’éloge de l’éclectisme dans mon Ératosthène. Mais éclectique ne veut pas dire selon moi goûter à tout, pris d’une espèce de maladie de la superficialité, mais plutôt goûter à certaines choses en particulier, les approfondir, souvent à des moments divers de sa vie, et se constituer un cocktail unique qui fait que nous différons des autres.
J’ai malheureusement l’impression que le rêve de l’integral philosophy est de faire en sorte que nous nous épanouissons tous de manière égale, que nous soyons le résultat de la même intégration idéale, donc identiques. Pour moi l’intégralité, nom moderne pour désigner l’idéalité, est une très vieille idée. Je me passionne plutôt pour la diversité.
J’étudie en ce moment la constitution des supers organismes. Une des choses les plus passionnantes est l’évolution de la coopération. Plus il y a coopération, plus il y a spécialisation. Plus il y a spécialisation, plus il y a coopération. Une fois que le boulanger pétrit mon pain, je dépends de lui mais, en même temps, je profite du temps gagné pour mieux me spécialiser dans autre chose. C’est ainsi que se construisent les sociétés. Chez les insectes sociaux, la spécialisation se limite à quelques castes. Chez nous, elle se déploie presque à l’infini.
Plus une société se complexifie, plus il y a de spécialités. On peut imaginer que ce processus se poursuive jusqu’à ce que chacun de nous devienne l’unique spécialiste de sa spécialité. Nous devenons alors indispensables à notre société. La spécialité ainsi conçue doit s’inventer. Elle apparaît au confluent d’une approche éclectique que chacun de nous doit poursuivre au fil de sa vie.
Il ne s’agit donc pas d’intégrer tous les possibles, de tous les cultiver avec un zèle identique, mais de se créer un chemin unique et original. Du physique, du mental, du social et du spirituel mais dans une infinité de dosages et directions divergentes.