Quand j’ai commencé à écrire, et puis quand je suis devenu journaliste, j’ai beaucoup lu de livres sur l’art d’écrire. J’ai un peu perdu cette habitude en même temps que mon style se stabilisait. Par malchance, il ne se range pas dans un genre particulier (poésie, roman, essai…).
En lisant une interview de Laurent Laffont, j’ai découvert que je me trompais. Je ferais de la narrative nonfiction ou de la créative nonfiction. Ça ne vaut pas pour le twiller mais sans aucun doute pour Le cinquième pouvoir, pour Itinéraire d’un homme libre et les idées auxquelles je réfléchis.
Ce serait l’art de raconter des histoires qui sont vraies en usant des techniques romanesques : mise en situation, description, dialogue, incarnation des personnages… J’avoue que les livres contemporains qui me parlent aujourd’hui se rangent presque tous dans cette catégorie.
J’ai souvent parlé de John Krakauer, qui est pour moi un des rares écrivains vivant que j’admire. Après la sortie de Under the Banner of Heaven, non publié en France il me semble, un critique a dit :
This book is not history, and Krakauer is no historian. He is a storyteller who cuts corners to make the story sound good. His basic thesis appears to be that people who are religious are irrational, and that irrational people do strange things.
«Pas historien mais romancier. Pas romancier mais historien.» C’est le genre de critique que j’ai déjà entendu pour ma pomme. Beaucoup de gens n’aiment pas le mélange des genres et la narrative non fiction, c’est un peu ça, une façon éclectique de pratiquer la littérature.
Quand j’ai écrit Le cinquième pouvoir, j’ai consciemment adopté la technique de Krakauer, ou de Gabriel Garcia Marquez quand il écrit Journal d’un enlèvement, pur chef-d’œuvre. J’ai raconté des histoires qui illustraient le cinquième pouvoir plutôt que de donner dans l’intello comme j’ai tendance à le faire ici (et c’est ce qui différencie ce blog de ce que j’écris par ailleurs).
J’ai décrit les protagonistes, comme Étienne Chouard, j’ai essayé de parler de leur intimité, des moments où les idées leur étaient venues. Pour être plus dans l’esprit Krakauer, j’aurais dû m’attacher à un seul personnage, tout décrire avec son prisme… mais j’ai eu l’impression de travailler cette direction, sans savoir bien sûr que les anglo-saxons avaient un nom pour ça depuis les années 1970.
Je viens de faire quelques recherches sur le genre et découvert des dizaines de sites, notamment celui de Lee Gutkind qui semble un des théoriciens du genre.
The word “creative” refers simply to the use of literary craft in presenting nonfiction—that is, factually accurate prose about real people and events—in a compelling, vivid manner. To put it another way, creative nonfiction writers do not make things up; they make ideas and information that already exist more interesting and, often, more accessible.
Si j’en crois la fin de cette définition, j’ai tendance à déraper puisque je propose parfois mes idées ou mes interprétations. Mais c’est justement ce qui est reproché aussi à Krakauer.
De nombreux auteurs de narrative nonfiction écrivent à la première personne. Ils affirment la subjectivité. Les blogueurs les imitent. Je lis Wired depuis le tout début et j’y ai vu peu à peu l’énonciation s’y imposer. Les journalistes y disent je. Ils se mettent en situation adoptant les techniques de la narrative nonfiction.
Cette façon d’écrire me paraît propre à notre époque. Montaigne ou Rousseau ont déjà pratiqué le genre d’une certaine façon mais il connait aujourd’hui une véritable explosion. Il n’y a plus une vérité mais des histoires.
Et nos vies deviennent des histoires. Nous sommes tous potentiellement des héros. Nos vies rejoignent la fiction. Et c’est peut-être pour cette raison que les romans littéraires contemporains m’ennuient. Les auteurs pratiquent le romanesque par habitude, ils cherchent à imaginer, insensible à la forme que porte notre époque, aux millions d’histoires qui sont là, réelles, incroyables et surtout accessibles car nous pouvons nous parler d’un simple coup de téléphone ou d’un simple mail.
Je m’étais fait ces réflexions quand j’ai lu Journal d’un enlèvement, ça devait être en 2001 ou 2002. Aucun des romans de Garcia Marquez n’arrive à la cheville de ce texte. C’est son chef-d’œuvre parce que c’est une œuvre d’aujourd’hui. Cent ans de solitude était un roman déjà vieux à sa parution.
Et c’est peut-être pour ça que j’aime par-dessus-tout le Flaubert de la correspondance, parce qu’il y adopte ce style d’aujourd’hui. Que je retrouve chez lui dans un seul roman, L’éducation sentimentale.
George Orwell’s Down and Out in Paris and London, James Baldwin’s Notes of a Native Son Ernest Hemingway’s Death in the Afternoon, and Tom Wolfe’s The Right Stuff are classic creative nonfiction efforts—books that communicate information (reportage) in a scenic, dramatic fashion. These four books represent the full spectrum of creative nonfiction […]
J’ai de la lecture en perspective. J’ai trouvé d’autres livres références du genre listé par Edward Humes. Vu le développement du genre, les libraires américains se demandent s’ils doivent créer un rayon narrative nonfiction. Alors comment le subdiviser ? 1. Aventure (Krakauer)
Voyageur (Bouvier)
True Crime (Truman Capote)
Biographie/autobiographie/mémoire
Histoire (mon ami Alain-Gilles Minella fait ça très bien).
Micro histoire (l’histoire de minuscules évènements)
Essai
Reportage (Garcia Marquez)
Science (Buchanan)
Tous ces domaines se prêtent à la narrative nonfiction, autant dire tout ce qui n’est pas purement romanesque peut être traité de façon romanesque. Ce n’est pas un nouveau rayon qui apparaît mais simplement une nouvelle façon de raconter les histoires plutôt vraies.
Pour terminer, je cite encore une fois Lee Gutkind qui lui-même cite Gay Tales qui parle du nouveau journalisme théorisé par Tom Wolfe en 1973 :
Though often reading like fiction, [it] is not fiction. It is, or should be, as reliable as the most reliable reportage, although it seeks a larger truth than is possible through the mere compilation of verifiable facts, the use of direct quotations, and adherence to the rigid organizational style of the older form.
J’ai envie de m’approprier ces propos. En écrivant Itinéraire d’un homme libre, j’ai justement recherché une vérité plus grande, j’ai voulu dépasser l’histoire pour y trouver un sens pour moi.