Va expliquer à un mec sur une chaine de montage de bagnoles par exemple que dorénavant sa structure ne sera plus pyramidale mais en réseau ! Soit il rigole et continue à serrer ses boulons, soit il te balance sa clé à molette dans la tronche !
Personne ne va rien expliquer à personne. Un matin, la chaîne de montage sera fermée et ce n’est pas à moi que le mec enverra sa clé dans la tronche. Je ne serai pour rien dans la délocalisation voire la faillite de son usine.
Nous venons d’assister à la gloire du capitalisme et nous avons constaté que l’écart se creuse toujours plus entre les pauvres et les riches. Si les pyramides s’élèvent encore comme nous le constatons en ce moment, la vie à leur base va devenir de plus en plus pénible. Il est illusoire de croire que, quand le sommet de la pyramide s’élève, sa base s’élève aussi. Une pyramide n’est pas une fusée qui décolle, mais une chose qui s’allonge comme un élastique.
Par un effet de vase communiquant, les richesses des pays riches se déverseront dans les pays pauvres. En même temps, les salaires et le pouvoir d’achat en Occident se dépréciera. Ce mouvement me semble inéluctable si nous n’imaginons pas autre chose.
Des patrons, des coopératives, des associations de travailleurs indépendants… commencent à s’organiser autrement. Il devient possible pour quelques personnes de quitter la chaîne de montage et d’entrer des structures plus organiques, chez Favi par exemple.
Il y a encore peu de place dans ce monde mais il y en aura de plus en plus en même temps que les hommes découvriront le plaisir de travailler dans de tels environnements. Qui dit plaisir, dit sans doute meilleurs résultats, plus d’imagination, moins de stress, plus de productivité… et si tel est le cas, ces structures, encore aujourd’hui jugées contre nature, s’imposeront. Poussé à l’extrême, ce phénomène transforme chacun de nous en artisan high-tech.
De l’esclavage
On me demande si je suis sérieux quand je dépeints cette possibilité que j’estime déjà en marche. Oui. On me demande si des artisans poursuivront la conquête spatiale ou construiront des accélérateurs de particules géants ?
Comme les moines Zen, je réponds par une question. À l’époque de l’esclavage, qui croyait que le monde pourrait se développer sans esclaves ? Quelques illuminés. Alors je veux bien être aujourd’hui un illuminé pour avoir raison demain.
Voyez les salariés comme les esclaves modernes. Le salariat sera un jour aboli et les hommes plus libres continueront de créer des choses merveilleuses. De mon point de vue, le salariat est une aliénation. Beaucoup de salariés me traitent de fou comme les esclaves eux-mêmes pendant des millénaires jugèrent fous les rares abolitionnistes.
Déjà vouloir que des artisans rivalisent avec les grandes structures pyramidales d’aujourd’hui n’a guère de sens. On ne reproche pas aux entreprises de ne plus construire des pyramides dans le désert.
Si la structure sociale change, nos projets changeront, nous les développerons différemment. Des artisans high-tech travailleront en réseau. Ils manipuleront la matière comme nous manipulons les informations aujourd’hui.
Peut-être n’auront-ils pas besoin de construire de vastes accélérateurs de particules. Celui du CERN est d’ailleurs contesté car il oriente la recherche dans une direction peut-être moribonde.
Je l’ai visité, je le trouve aussi merveilleux que les grandes pyramides d’Égypte. Je ne nie pas cette puissance des structures hiérarchiques à construire des merveilles. Mais Proust, seul, a construit une œuvre tout aussi admirable. Einstein aussi a travaillé seul. Nombre d’innovations majeures de l’humanité, pour ne pas dire la plupart, ont été effectuées par des hommes seuls, ou travaillant en petite équipe, et souvent disposant de moyens réduits.
Le nombre, la taille, la quantité… ne sont pas une fatalité (sinon dans le monde capitaliste qui ne pense qu’en terme de croissance). La qualité importe aussi, elle importe d’autant plus dans une époque dominée par la gabegie.
Pourquoi la conquête spatiale serait-elle brutale ? Peut-être que la technologie qui nous amènera vers les étoiles sera à la portée d’artisans. Dans Star Wars, Ian Solo bricole son Millennium Falcon comme nous bricolons aujourd’hui nos voitures.
Demain, les clés à molette des artisans seront des robots qui travailleront en essaim. Aujourd’hui, avec un PC, un musicien peut faire jouer une symphonie là où jadis il fallait une centaine de musiciens. Essayez de prolonger cette métaphore dans d’autres domaines. Seule l’imagination peut la brider.
Et n’oubliez pas que je parle d’un projet de société dont aujourd’hui seules quelques portes s’entrouvrent. Mon travail est simplement de pointer vers elles. Je me tiens sur le seuil et je dis que par là cela me semble plus vivable.
État des lieux
Les hyper-structures pyramidales que nous connaissons cohabiteront-elles avec les réseaux ? C’est possible puisque c’est aujourd’hui le cas.
Mais je crois que nous vivons une époque de transition. Nous vivons après une phase de croissance vertigineuse des hyper-structures qui se prolonge encore et qui, sans doute, se prolongera jusqu’à ce que ces beaux édifices s’effondrent. Ni plus ni moins que le mythe de la tour de Babel.
Les pyramides vont devenir si grosses qu’elles s’écrouleront sous leur propre poids, un peu comme les étoiles qui se transforment en trou noir. J’ai peur qu’elles n’entraînent dans leur chute bien des hommes.
Une pyramide ne peut s’empêcher de croître. Attaché à sa base, elle grandit jusqu’à la faillite (quand l’élastique se rompt). C’est ce que nous observons dans le monde capitaliste. Si on prend le top 500 des entreprises mondiales, la plupart n’existaient pas il y a 50 ans, et très peu existaient il y a 25 ans (j’ai plus les chiffres exacts en tête).
Je n’ai même pas besoin d’invoquer tous les problèmes de santé que connait une structure devenue obèse. L’analogie anthropomorphique peut être prolongée. Un gros mange plus qu’il ne produit, c’est une charge de plus en plus accablante pour sa famille, les services de santé, la société… Qu’est-ce qu’on lui conseille ? Un régime. Mais certains croient encore que les structures pyramidales grossiront indéfiniment.
Là encore, je n’ai plus les chiffres en tête, mais le coût de maintient de la structure devient tel qu’à un moment il est prohibitif et que la structure s’effondre. Voilà aussi pourquoi la plupart des entreprises ne perdurent pas, tout comme les empires.
Leur seul espoir est en fait la croissance effrénée. Tant qu’il y a croissance générale, l’obèse peut s’empiffrer mais, à un moment donné, les divers obèses saturent l’écosystème et se dévorent les uns les autres…
Je crois aux vertus du système pyramidal mais, contrairement aux idées reçues, je pense les pyramides adaptées à des structures relativement petites. Je ne crois pas à un gouvernement mondial mais je crois à un gouvernement municipal.
Une des seules structures humaines réellement mondiales, c’est Internet. Elle fonctionne très bien sans gouvernement mondial (et elle fonctionnera de moins en moins bien en même temps que Google et d’autres la centraliseront). Les instances internationales seront en réseau ou ne seront pas.
Il me semble que nous assistons d’ailleurs à cette métamorphose des vastes structures internationales en réseaux. Les premières cartographies sociales l’indiquent et le phénomène nous deviendra de plus en plus apparent en même temps que se développerons les outils de networking.
Quand une même personne travaille pour dix pyramides différentes, dans chacune d’elle dans des postes différents, les pyramides se brouillent comme je l’explique dans ma conférence de Genève. Nous assistons à une transmutation des hyper-structures. L’autorité top-down y devient inopérante et toutes les décisions se prennent par networking.
Nous sommes déjà entrés dans l’âge des réseaux. Dans un environnement complexe, le réseau me semble la seule structure viable. L’humanité jusqu’à aujourd’hui n’a pas été en situation de tester cette hypothèse. Je crois que nous aurons bientôt la démonstration par l’exemple. Il nous suffit d’attendre.
Et pour ceux qui voudraient que j’en dise plus, je leur conseille simplement d’observer. Un réseau se construit avant tout de lui-même, il pousse. Il ne se contrôle, ni ne se commande comme une pyramide. Arrêtez de me demander de faire ce que j’explique être impossible.
On dirait que vous exigez de moi de fonder l’arithmétique après que Gödel ait démontré l’incomplétude de la même arithmétique.
Je suis un simple connecteur, je ne m’intéresse qu’aux qualités. Je laisse les quantités à ces obèses de capitalistes.