Pour certains, nous traversons un soubresaut historique. Quelques ajustements au capitalisme, quelques mesures écologiques et quelques révisions institutionnelles nous ramènerons à la normale.
Je ne cherche même pas à savoir ce qu’ils entendent par normale, sachant que ce qui serait normal pour moi ne le serait pas pour eux.
Pour d’autres, dont je suis, nous nous trouvons à la veille d’une transition historique. Qu’est-ce qu’une transition ? Une période après laquelle plus rien ne peut plus être comme avant. Par exemple, les cyanobactéries ont provoqué une transition il y a trois milliards d’années en injectant l’oxygène dans l’atmosphère.
La transition est rarement instantanée, même celle qui mit fin aux dinosaures. Par exemple, entre le découverte de la sphéricité de la terre et la prise de conscience effective de la planète, il aura fallut plus de 2000 ans.
Pour ce qui nous concerne, je vois d’un côté de la transition, le paradigme pyramidal, de l’autre, le paradigme réseau. Bien qu’incompatibles, ces deux paradigmes coexistent déjà. Nous sommes dans la même situation que les Grecs. Ils vivaient comme si le monde était petit et plat mais quelques-uns, Alexandre en particulier, conçurent leur vie dans le monde immense et sphérique. Aujourd’hui, si la plupart des entreprises respectent le modèle pyramidal, certaines ont déployé depuis une trentaine d’années des structures en réseau.
La transition, bien que pressentie, n’est jamais inéluctable. Ératosthène a pensé la transition vers le monde immense et sphérique mais elle a bien manqué ne jamais survenir. Il est fort possible que la transition vers les réseaux ne se fasse pas ou ne se fasse que dans des siècles.
Je crois que si nous ne transitons pas ce sera une catastrophe. En 2050, nous serons 9 milliards (et les études montrent que ce chiffre variera peu quelles que soient les mesures de régulation des naissances adoptées). À 9 milliards, le vieux paradigme ne suivra pas. Le command and control sera inapplicable à moins de ne sombrer dans une terrible dictature ou de traverser un génocide monstrueux qui ramènera la population à un volume adapté au pyramidal.
Donc soit le système pyramidal va dans le mur et nous pousse au suicide collectif, soit il se durcit. Dans le deux cas, ce sera dramatique et des hommes se dresseront pour empêcher ce massacre. Je me dis souvent que mes enfants devront faire la guerre. Ce n’est pas une pensée optimiste.
Heureusement, il y a une autre possibilité. Nous transitons d’un paradigme à l’autre. La transition sera alors comme je l’ai déjà écrit spontanée, violente ou accompagnée.
Spontanée j’aimerais bien mais elle ne l’est pas pour le moment. Partout des gens meurent à cause de la crise du système actuel. Ce n’est pas la transition qui les tue mais ses prémices.
La violence est aussi déjà présente. Le système se défendra et la violence redoublera. Les drames que nous connaissons aujourd’hui n’apparaitront que comme des escarmouches.
Notre devoir me semble alors d’accompagner la transition qui débute pour éviter les débordements ou tout au moins les minimiser. Nous devons apprendre à vivre heureux à 9 milliards sur notre planète. Nous n’avons guère d’autres choix. Voila pourquoi j’ai parlé de la nécessité d’une politique de transition.
Le paradigme réseau commence à s’éclaircir. Il repose sur la décentralisation, la responsabilisation, la transparence, la liberté, l’action locale, le déploiement de la longue traîne… À chacun de ces mots, on peut en opposer d’autres dans l’ancien paradigme pyramidal : centralisation, représentation, secret et censure, esclavage, action globale, ultra-capitalisme…
Pour chacun de ces couples, nous devons imaginer des méthodes de transition. La technique la plus simple est que chacun de nous se place dans le nouveau paradigme et agisse selon ses nouvelles règles. C’est la logique même du paradigme. Mais pour le moment l’autre est aussi opérationnel et je ne vois pas pourquoi ceux qui s’en sentent la vocation ne pourraient pas tenter de le transformer de l’intérieur.
Certaines parties du vieux paradigme résisteront mais si certaines commencent à céder, tout le reste risque de suivre. J’admets que cette possibilité est peu probable mais je ne vois pas pourquoi nous ne la tenterions pas.