J’avais lu Gandhi, il est temps que je plonge dans l’autre monument de l’Inde du XXe siècle, Sri Aurobindo. Si Gandhi a prôné la non-violence, Aurobindo a souvent été révolutionnaire, même si, dès 1905, il évoque lui aussi la possibilité de la lutte non violente.
La tâche que nous entreprenons est morale et spirituelle, écrit-il. Nous ne cherchons pas à changer les mécanismes, la forme d’un gouvernement, mais à bâtir une nation. La politique fait partie de cette entreprise, toutefois elle n’en est qu’un aspect. Nous ne nous consacrerons pas à la politique seule ou aux seules questions sociales, ni à la théologie, à la philosophie, à la littérature et à la science en elles-mêmes ; nous les inclurons toutes dans une entité qui, pour nous, est de la plus haute importance : le dharma, la religion nationale, que nous considérons aussi comme universelle…
Je pourrais dire la même chose, je crois que nous sommes nombreux à poursuivre le même rêve. Nous avons une nation à libérer, c’est la planète terre. Comme l’Inde au début du XXe, elle est aux mains des impérialistes qui l’asservissent et qui nous imposent des mœurs qui ne correspondent pas à nos attentes profondes.
Notre religion, aussi universelle, n’invoque aucun Dieu, elle n’impose pas cette hypothèse à ses fidèles, elle célèbre la liberté, l’interdépendance, la responsabilité, le droit pour chacun d’étendre sa conscience jusqu’à lui faire percevoir le flot incessant des énergies qui traversent l’humanité.
Cette religion, comme de nombreuses religions, considère que cette expérience de la conscience est centrale à l’épanouissement personnel. Sans conscience, l’interdépendance reste un concept, la souffrance des autres une information, les tensions planétaires des théories.
Tout autant que réfléchir, rationaliser, structurer, la méditation et la contemplation nous amènent à la compréhension intime du monde. Peu importe le chemin que nous suivons pour atteindre la perception, notre religion n’en impose aucun, il n’en existe sans doute même pas d’universel et c’est à chacun de nous de découvrir le sien.
[Les extrémistes] laisseraient le gouvernement mener ses propres affaires, sans s’en préoccuper le moins du monde, dit Aurobindo. [Un gouvernement indien parallèle se développerait] afin de préparer le pays à se gouverner lui-même.
Je crois que le même processus est déjà à l’œuvre à l’échelle planétaire, à cette échelle ou la complexité et l’interdépendance confèrent à la notion de gouvernement une signification nouvelle. Alors que les politiciens de tous les pays et la plupart des activistes conçoivent le gouvernement comme une forme ou une autre de représentation, des gouvernements dynamiques apparaissent par cristallisation provisoire autour de problèmes particuliers.
Usant des vieilles grilles de lecture, la plupart des gens ne les voient pas, ne voient pas qu’ils agissent et qu’ils montent en puissance. Les informateurs perdent leur temps avec les vieilles structures moribondes, les seules dont ils savent parler et apprécier les qualités comme les défauts.
Mais comme Aurobindo le comprit très vite au sujet de l’Inde, l’indépendance n’est pas un but en soi. Chasser l’oppresseur pour adopter son mode de vie n’a aucun sens. Aurobindo croyait que l’Inde avait un message à transmettre à l’humanité.
Ce n’est pas seulement pour elle-même qu’elle se redresse, comme le font les autres pays, ou, une fois devenue forte, pour écraser les nations plus faibles, mais pour répandre sur le monde la lumière éternelle dont elle est la gardienne. Depuis toujours, l’Inde existe pour l’humanité, non pour elle-même, et c’est pour l’humanité, et non pour elle-même, qu’elle de soit d’être grande.
Changer pour répéter ce qui existe ne présente aucun intérêt. Nous ne rêvons pas d’une autre stabilité mais d’une autre possibilité encore jamais essayée.