Lorsque je parle d’auto-organisation et de décentralisation, on me reproche de ne pas prendre en compte la nature humaine. C’est un grand classique comme si moi-même je n’étais pas humain.
Tout d’abord qui connaît cette nature ? Qui sait où la trouver ? Elle se cache dans quel coin de notre cerveau ? Qui sait la définir ? Vercors avec ses Animaux dénaturés n’a-t-il pas montré que c’était impossible ?
J’avoue avoir déjà beaucoup de mal à définir ma propre nature. Alors définir celle de l’espèce humaine dans son ensemble m’apparaît non seulement hors de mes moyens mais tout simplement absurde. Il existe sans doute presque autant de natures humaines que d’individus. Celle de l’Oriental est-elle la même que celle de l’Occidental ? Celle d’un Français du XXIe siècle est-elle la même que celle d’un Français du XIXe ?
Parler de la nature humaine, c’est faire preuve d’essentialisme. C’est croire qu’il existe une essence de l’homme. J’y crois d’autant moins à cause de l’évolution qui ne garde rien inchangé.
Affirmer qu’une théorie politique ne prend pas en compte la nature humaine est donc absurde. Au temps de l’esclavage, les esclavagistes aussi bien que les esclaves trouvaient absurde la liberté. C’était une théorie politique qui ne prenait soit disant pas en compte le désir de certains hommes d’être assujettis par d’autres. Leurs successeurs remplacent aujourd’hui « assujettir » par « commander » ou « employer ». Un jour, ils seront ridicules d’avoir tenus de tels propos.
La démocratie a longtemps été considérée comme un système qui ne tenait pas compte de la nature humaine. Ça ne me gêne pas d’entendre la même chose sur l’auto-organisation. Nous avons appris à vivre en démocratie, nous apprendrons à vivre dans des régimes plus évolués et qui conviendront aux nouveaux états du monde.
Si nous sommes incapables d’apprendre, incapables de changer, nous n’avons plus notre place dans l’histoire de l’univers. Des espèces qui s’adaptent mieux nous succèderont.
Et si la nature humaine c’était la capacité de changer de nature ? Cette nature serait plurielle, dynamique, insaisissable…
Les idéologies ont pour fonction de proposer des directions de changement. Elles contraignent nos natures individuelles. Elles n’ont pas à tenir compte d’elles mais, au contraire, nos natures humaines doivent s’adapter aux idéologies que nous sommes capables d’inventer et de mettre en œuvre.
Nous construisons notre avenir.
Je ne vais pas maintenant jusqu’à nier l’existence des traits de caractères. Certains hommes comme moi sont ingérables, d’autres travaillent mieux sous la direction d’un manager, d’autres sont fainéants, d’autres infatigables… tout cela dessine-t-il la nature humaine ?
De nombreux psychologues proposent de nous définir à partir de cinq traits plus où moins prégnants chez chacun de nous. Mais je n’ai jamais lu le moindre article qui disait que les riches possédaient tel ou tel cocktail de compétences, les élites tel autre, les politiciens tel autre. Cinq traits avec chacun une infinité de dosage donne une infinité de personnalités possibles. Encore une fois, je ne vois pas poindre une nature humaine mais quelques grands mouvements assez imprécis.
Alors les prendre en compte oui… avec nos capteurs cérébraux, chacun à notre façon… Mais que ceux qui pensent que telle ou telle idéologie ne prend pas en compte la nature humaine essaient eux-mêmes de la prendre en compte, de prendre en compte sa merveilleuse variabilité et qu’ils nous disent ce qu’ils entendent par nature humaine. Pour ma part, je ne sais toujours pas et j’aimerais être initié à ce secret.
Il m’arrive de croiser des gens très riches, d’autres toujours en galère. Entre eux, je n’ai noté qu’une différence fondamentale, les uns avaient eu de la chance, les autres pas. La chance de bien naître, la chance d’avoir reçu une meilleure éducation, la chance d’avoir bénéficié d’un environnement favorable à leurs particularités, la chance surtout d’avoir réussit les coups qu’ils ont tenté. Et quand on réussit une fois, on se lance plus facilement la seconde et on multiplie ses chances de succès. La spirale du succès est aussi infernale que celle de l’échec.
Les idéologies de droite tendent à favoriser les spirales du succès, celles de gauche à briser celles de l’échec. Je n’ai jamais compris en quoi elles étaient antagonistes.