Mais je suis un provocateur. Quand tout le monde dit blanc, je dis noir même si je pense blanc. Pour moi, c’est une façon de survivre, de maintenir l’existence de mon identité, de me prouver la possibilité de la liberté (toute relative car mon opposition est presque automatique).
Quand j’étais adolescent, le disco était la musique à la mode et j’écoutais d’obscurs groupes punks comme Magazine. Il y a en nous certains traits qui ne changent pas avec les années. Même si je les identifie, je suis incapable de les contrôler, je n’en ai même pas envie.
Dire le contraire de ce que pense la majorité, plus que la majorité la quasi-totalité des autres, c’est une façon pour moi de laisser le débat en vie, de donner une chance à la conversation qui nous emporte loin dans la nuit.
Quand je me trouve avec des gens qui doutent du réchauffement climatique, de ses dangers, je suis un écologiste intégriste, je prône la décroissance. Quand je suis avec des gens qui s’agenouillent devant les prévisions du GIEC, je ne change pas totalement de camps, mais je crie au loup. Le GIEC est un rapport écrit par des hommes et nous n’avons à nous prosterner devant aucun texte tel qu’il soit.
Je me suis longtemps battu au cours de conversations pour défendre la position d’un réchauffement climatique dangereux pour l’homme. Ce n’était pas facile. Des hommes libres ont peu à peu agité cette idée jusqu’à ce qu’elle s’impose. Maintenant qu’elle est là, nous devons préserver notre droit de penser différemment. Si plus personne ne pense différemment, nous risquons de nous enfermer dans une dictature du politiquement correct. Toute évolution sociale s’effectue parce que peu à peu des gens pensent autrement que la majorité. C’est comme ça que l’esclavage a été aboli et que le réchauffement climatique sera pris à bras le corps.
J’aime la différence, cette différence de potentiel qui fait que les choses restent en mouvement, du chaud au froid, du noir au blanc, du salé au sucré… Je déteste les accords parfaits. Dès que je sens un groupe en accord parfait, je suis mal à l’aise, je suppose qu’il y a un truc louche de nature sectaire. Fréquenter l’année dernière des militants politiques a souvent provoqué chez moi des nausées. Pour me guérir, je réagis donc en m’opposant, souvent violement.
Je dis tout ça pour expliquer le malentendu que j’ai pu laisser planer au sujet du réchauffement climatique. Voici ce que je pense vraiment, si tant est que vraiment puisse avoir un sens.
- Je n’ai aucun doute qu’il se produit en ce moment un réchauffement climatique préoccupant. Il suffit de regarder les courbes d’évolution des températures ou de constater le recul des glaciers.
- J’accepte que l’homme est en large part responsable de ce réchauffement comme l’explique le GIEC. On ne peut pas extraire des énergies fossiles et les cracher dans l’atmosphère indéfiniment sans l’affecter.
- Je crois même comme l’imagine Lovelock que nous risquons de franchir des seuils, sorte de transition de phase, qui précipiteront la biosphère vers des états déplorables pour l’humanité.
- Je suis donc persuadé que si nous ne changeons pas de mode de vie, nous allons devoir affronter des temps difficiles.
- En conséquence, je suis pour que nous agissions et, comme je ne crois pas à la capacité de nos gouvernements à agir, je t’ente d’agir à mon échelle (par exemple en installant chez moi le solaire et une pompe à chaleur) et j’espère que nous ferons tous de même.
Je m’inquiète en revanche quand le GIEC joue à l’oracle, invoque la convergence des modèles, propose des scénarios du futur plus ou moins catastrophiques, mais jamais trop catastrophiques pour ne pas paniquer les foules (le GIEC reste une institution politique).
Le rapport du GIEC que je n’ai jamais lu dans sa totalité est d’ailleurs très modéré. Il y a sans cesse des guillemets, le ton n’est ni affirmatif ni péremptoire. C’est toujours dans le style « dans l’état actuel de nos connaissances, nous pensons que probablement il se passera ça. » Je ne peux pas dire que les scientifiques du GIEC jouent les Nostradamus. Ils sont prudents mais leur prudence ne les empêche pas de tendre vers un avenir plus qu’hypothétique.
Je m’inquiète quand des milliers de scientifiques s’accordent sur ce qui sera alors que jusqu’à ce jour nous n’avons jamais réussi à prévoir ce qui sera, en tout cas pour nous être-humains d’un point de vue global. Quelles avancées de ces dernières années nous permettent d’être soudain aussi sûrs de nous ?
Il existe des millions d’hommes convaincus que les femmes doivent porter le voile, mais leur nombre pas plus que leurs convictions ne leur donnent raison. Le nombre de scientifiques du GIEC en accord, leur rigueur, leur intelligence ou leur notoriété ne donnent aucun poids à leurs prévisions. Je crois que nous vivons l’émergence d’un dogme au nom de la science.
Les scientifiques restent des hommes. Si l’un d’eux n’est pas d’accord avec la majorité de ses collègues, il se retrouve ostracisé. Mal vu, pas promu, moins bien payé, il a peu d’avantage à ne pas penser comme tous les autres. La synchronisation autour des positions dominantes est naturelle. Il faut souvent une nouvelle génération pour casser un dogme avant d’en construire de nouveaux.
J’oppose donc une méfiance de principe par rapport aux prévisions du GIEC, même si je ne mets pas en doute les observations, les constations et les explications de ce qui se passe aujourd’hui. Je me méfie parce que l’avenir n’est pas là et que personne ne sais ce qu’il sera.
Le GIEC a effectué un travail faramineux. Mais il n’est pas la seule association humaine à déployer autant d’efforts pour prévoir l’avenir. Les acteurs des marchés financiers, avec plus de moyens, plus d’hommes et sans doute pas moins d’intelligence, restent incapables de prévoir les cours, sinon à les anticiper sur de minuscules périodes, tout comme le font les météorologues pour le temps des jours à venir.
Pourquoi les membres du GIEC seraient-ils plus doués ? Il s’agit bien pourtant de prévoir l’avenir d’un système tout aussi complexe, même plus complexe, car la biosphère inclue entre autres les places boursières et les activités économiques qui en découlent.
Le climat est-il plus stable, plus serein ? Je n’en ai pas l’impression. L’évolution des températures ressemble étrangement aux fluctuations boursières, à l’échelle près. Si nous savons prévoir le climat à long terme, nous devrions être capables de prévoir l’avenir à long terme d’autres systèmes complexes, la Bourse par exemple. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Les membres du GIEC construisent des modèles qui expliquent le présent à partir du passé puis, naturellement, ils les projettent vers l’avenir. Systématiquement, ils découvrent un avenir inquiétant alors ils s’inquiètent, nous nous inquiétons, à juste raison. Mais l’avenir n’est inquiétant que parce que le présent est inquiétant. Les modèles ne prévoient rien. Ils ne font qu’amplifier les observations présentes, que tirer plus fort la sonnette d’alarme. Bravo, c’est nécessaire, c’est une raison de plus pour agir.
Mais restons-en là. Les prévisions m’apparaissent alors comme des outils de management des foules. Elles nous indiquent une direction à suivre, des pièges à éviter, des choses à inventer. Le cyberspace a, par exemple, été imaginé avant que Tim Berner Lee ne le rende possible.
Imaginer le futur, c’est se donner une chance de le construire. C’est un exercice magnifique et jouissif. Sans lui nous ne serions même pas homme. Mais nous ne devons pas imposer nos imaginations comme des réalités déjà advenues, inscrites en quelque sorte dans le marbre…
L’avenir est ouvert, personne ne peut nous prédire ce qu’il sera.
Pour moi, il n’y a rien de sacré. Plus les gens diront que le GIEC fait un travail formidable, plus je serais sceptique. Comme je l’ai dit, je ne mets en cause les conclusions du GIEC, je suis juste un peu effrayé quand l’immense majorité d’une communauté se met d’accord sur une vision de l’avenir.
Merde il ne s’agit pas d’un avenir simple comme de dire que demain nous épuiserons le pétrole. Il s’agit de prévoir l’avenir de la biosphère dans laquelle s’agiteront bientôt neuf milliards d’humains. Nous ne faisons pas face à des problèmes statistiques normaux, nous sommes dans un domaine dominé par les lois de puissance et non par des courbes de Gauss.
Le consensus sur quelque chose de non-advenu me fait frémir, que ces gens soient des scientifiques ou pas n’y change rien. Quand nous nous projetons dans l’avenir d’un système aussi complexe que le climat, quand nous affirmons ce qui sera, même avec une marge d’erreur, je deviens sceptique même si ce n’est pas mon habitude.
Notes 1
Un modèle n’a pas besoin de prendre en compte tous les paramètres pour être réaliste. Lors des simulations, une fois qu’on a découvert les interactions fondatrices et qu’on obtient des résultats en accord avec les observations, on gagne souvent peu à complexifier le modèle.
Je n’accuserai donc pas les modèles invoqués par le GIEC d’être incomplets.
Mais une fois que nous avons découvert un modèle qui décrit le passé et le présent, rien ne nous autorise à croire qu’il va décrite l’avenir. Pourquoi ? Il existe souvent des dizaines de modèles concurrents qui expliquent le passé et le présent et qui, prolongés, donnent des avenirs divergents.
Tant que nous ne disposons pas de tous les modèles possibles du passé (et de tous les réglages de ces modèles), chose impossible il me semble, nous ne pouvons pas connaître l’avenir. Que tous les modèles du GIEC convergent ne prouvent rien quant à l’avenir.
Par ailleurs, les modèles ne peuvent pas intégrer les imprévus, la survenue des black swans de Taleb. J’admets que les modèles retenus par le GIEC sont bons en l’absence de black swans mais les black swans surviennent presque toujours.
Pour moi, le GIEC nous dit, si rien de spécial ne se produit, il se produira ça. Mince ce n’est pas du tout bon. Nous avons donc de bonnes raisons de nous faire du souci. Se faire du souci ne fait pas forcément de mal et, dans le cas présent, peut même faire du bien.
Tirer la sonnette d’alarme est une bonne chose… en déduire que nous pouvons connaître l’avenir est très pernicieux.
Je me bats juste contre l’amalgame qu’il y a entre imaginer des avenirs possibles, ce que fait le GIEC, et croire que nous pouvons prévoir l’avenir, ce que pensent trop de gens.
Notes 2
Notre science repose sur l’idée que les phénomènes sont reproductibles et que nous pouvons expérimenter. Elle cherche à expliquer ce qui existe et à trouver les lois qui le régissent.
Pour tester les lois de la gravitation, nous pouvons effectuer les mesures de Galilée quand nous le voulons. On peut construire un laboratoire n’importe où. Mais comment tester les modèles climatiques ? Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre l’avenir qu’ils prédisent car nos simulations, nos meilleurs laboratoires dans ce cas, n’intègrent pas les imprévus qui surviennent dans la réalité.
Nous pouvons donc dire dans telle condition il se passera ça mais nous n’avons aucune idée si ces conditions se produiront un jour.
Ce n’est bien sûr pas une raison pour ne pas agir. Je dis justement que nous devons agir parce que la situation est déjà inquiétante.
Notes 3
Je ne suis donc pas contre les conclusions du GIEC mais contre l’idée que nous pouvons prévoir l’avenir et, en conséquence, l’influer en réaction à la prévision. Cette idée n’est pas dans le rapport du GIEC qui néanmoins, par son existence, la renforce chez beaucoup de gens… et nous entrons sur le terrain politique, terrain sur lequel le rapport du GIEC s’inscrit, que les scientifiques le veuillent ou non.
Note 4
Le rapport du GIEC, en créant le consensus, a le mérite d’harmoniser les hommes, de les faire se serrer des coudes dans un but… c’est merveilleux car il peut en découler de véritables avancées. En même temps, je ne peux m’empêcher de penser que les religions ont toujours eu cette force d’orienter le cours de l’histoire. Au fond de moi, j’aimerais que nous choisissions, chacun par nous même, en homme libre, la direction que nous indique le GIEC.
Nous nous y engagerions avec bonheur, avec joie… et non tête baissé comme sous le joug d’une énième dictature. Les rapporteurs du GIEC sont peut-être réalistes, je suis à coup sur utopiste. Les gouvernements se serviront des prévisions climatiques pour nous manager par la peur. Entre les mains des hommes de pouvoir, les prévisions sont des armes de répression.
J’espère encore que nous pouvons atteindre à l’harmonie sans en passer par là, une harmonie qui naîtrait de la différence et qui prendrait en compte la réalité contemporaine sans avoir besoin d’agiter des catastrophes à répétition, qui d’ailleurs, comme elles ne sont pas là, ne réussissent pas à faire peur à la plupart des gens. Depuis longtemps, il n’y aurait plus de fumeurs si les menaces de problèmes à venir suffisait à nous faire changer d’attitude. Au final, je crois que les prévisions servent avant tout à donner des armes à ceux qui veulent nous assujettir.