L’année dernière, j’ai écrit l’équivalent de mile pages sur ce blog (je les relirai et éditerai une version papier sans doute l’été prochain). Je ne sais pas si je serai aussi prolixe cette année. Ma priorité est la rédaction de la version définitive d’Ératosthène qui devrait être publiée début 2009.

Le roman reprendra les idées développées dans la version actuellement en ligne mais je repars du dernier chapitre actuel, moment où Ératosthène meurt et analyse sa vie, son époque et devient immortel… gagnant peu à peu la vision de sa postérité. Ce changement de perspective change mon projet littéraire mais non mon projet intellectuel que je résumais déjà en début de la version actuelle.


À l’ouest de l’Australie, 800 kilomètres au nord de Perth, l’océan Indien s’immisce dans le désert, dessinant une baie parsemée d’îles et de péninsules. Les avions de tourisme en survolent les hauts-fonds couverts de prairies aquatiques avant de se poser sur la piste de la petite ville de Denham.

Cette bourgade sans attraits s’étire le long d’une plage parsemée de broussailles. Quelques hôtels, une poignée de boutiques et des bateaux de promenade attendent les visiteurs. Tout est blanc, le béton, le sable, même le goudron gorgé de poussière. Il n’y a rien et pourtant, en 1991, l’Unesco classa le site au patrimoine de l’humanité. Depuis, Shark Bay appartient à tous les êtres humains de tous les temps.

Dans les environs, sous quelques mètres d’une eau extraordinairement limpide, vivent des algues bleues primitives. Ces cyanobactéries comme les nomment les scientifiques jouèrent un rôle clé dans l’histoire terrestre.

Avant leur apparition il y a 2,7 milliards d’années, le gaz carbonique saturait l’atmosphère comme les mers. La vie se nourrissait de souffre ou de méthane. Mais les minuscules algues bleues commencèrent à sécréter de l’oxygène grâce à la photosynthèse. Au début, le gaz s’accrocha aux sédiments ferreux, les colorant de rouge. Puis, après les avoir saturés, il pollua l’eau et gagna la surface, étouffant au passage les micro-organismes qu’il rencontrait.

Ce fut la plus grande catastrophe écologique de tous les temps. La vie aurait pu s’éteindre si, par un coup d’orgueil qui lui est propre, elle n’avait imaginé une solution originale : la respiration. Au lendemain de la calamité, malgré leur détresse, nos lointains ancêtres démontrèrent leur goût pour l’innovation la plus débridée.

Au fil des ères géologiques, d’autres séismes survinrent, provoqués par des explosions volcaniques ou des pluies de météores, et chaque fois la vie se remit en cause. La victoire, bien que jamais acquise, reste toujours possible.


L’histoire ressemble à un tas de sable. Les évènements et les êtres vivants y pleuvent grain à grain. Souvent ils provoquent de petites avalanches, parfois, comme Alexandre le Grand, ils déclenchent des cataclysmes irréversibles. Il existe ainsi des moments privilégiés à partir desquels plus rien ne peut plus être comme avant.

Après Copernic, la terre ne pouvait plus occuper le centre de l’univers.

Après Darwin, l’homme devenait une créature ordinaire.

Après Einstein, il vivait dans un bras excentré d’une galaxie spirale tout aussi ordinaire.

La destruction d’un monde prépare la naissance d’un autre. Dans l’agitation de l’après catastrophe, tout devient possible car plus rien n’est écrit. Les opposés – la raison et l’intuition, le masculin et le féminin, la science et la spiritualité – convergent avant une nouvelle effloraison créative. En l’absence de repère, l’avenir s’ouvre à tous les imaginaires.

Mais combien il est difficile de vivre en ces temps agités. À qui se fier ? Pour quel idéal se battre ? Comment trouver un équilibre personnel ? Comment, tout simplement, être heureux ? Lorsqu’une grande partie d’une population se pose des questions de ce genre, l’histoire entre à coup sûr dans une phase de transition.

Comment la traverser ?

Il n’existe aucune recette, sinon peut-être de nous retourner en arrière et de regarder comment, en des époques comparables, d’autres hommes s’en sortirent avec bonheur. En s’intéressant à eux, nous pouvons nous-mêmes trouver notre chemin à travers les temps de crise.