Hier, m’a femme m’a demandé d’aller filmer pour son blog l’inauguration d’un trompe l’œil en l’honneur de Brassens et de Lolo, ancienne figure locale de Balaruc les Bains qui avait squatté un bout de plage et construit une bicoque où quelques artistes vinrent festoyer au cours des années 1960.
Quand j’étais enfant, je jouais près de cette cabane, en retrait du village, à l’extrémité de la presqu’île, au pied d’une petite falaise qui la protégeait du mistral. L’endroit quelque peu inaccessible était pour nous une île mystérieuse. Lolo était un pirate. Nous entendions des ragots à son sujet.
Avec ses amis, il faisait jaser. On nous racontait que Dali était entré chez lui par un trou dans le toi. Dali était alors pour nous le fou avec des moustaches de mousquetaire qui faisait la publicité pour le chocolat Lanvin. Tout cela était sulfureux et parce que c’était sulfureux nous aimions approcher de la cabane mystérieuse.
Quarante ans plus tard, Brassens est mort, Lolo aussi, Dali aussi. La cabane a été détruite pour laisser le passage à une promenade, maintenant ponctuée d’une fresque souvenir. Sous la neige, il y avait foule pour la dévoiler. J’ai longuement regardé les spectateurs, j’ai reconnu peu de visages, peu avaient un jour connu la cabane et sans doute que la plupart de ceux qui l’avaient connue l’avaient aussi décriée.
Avec le temps, nous avons ainsi le don de nous acclimater aux comportements inattendus. Pendant que mes concitoyens célébraient les parias de jadis, d’autres parias étaient en train de faire le monde, à quelques pas de là, dans l’indifférence ou pire sous les regards moqueurs. Les pirates de mon enfance ne sont pas morts, d’autres ont pris leur suite. Comme tous les hommes libres, ils sont rarement admirés de leur vivant car leur vie dérange ceux qui la côtoient.