Le 28 novembre, dans les locaux de l’ESCP-EAP, le réalisateur Benjamin Rassat diffuse Quand l’Internet fait des bulles, partie 1 et partie 2. Pour créer un teaser pour la soirée, il a demandé aux personnages de son film, dont moi, de dire pourquoi ils aiment internet. Avant de me retrouver face à la caméra, j’ai essayé de répondre en imitant Georges Pérec.
- J’aime internet parce qu’il me paye bien.
- J’aime internet parce qu’il me permet de vivre dans le Midi.
- J’aime internet parce que j’y ai rencontré ma femme.
- J’aime internet parce qu’il nous transforme en révolutionnaire.
- J’aime internet parce que c’est une autoroute que peuvent emprunter les charrettes.
- J’aime internet parce qu’il signe la fin du pouvoir de quelques uns.
- J’aime internet parce que j’y croise de nouveaux amis.
- J’aime internet parce qu’il est un territoire vierge.
- J’aime internet parce que personne n’y comprends rien.
- J’aime internet parce que les experts y ont toujours tort.
- J’aime internet parce qu’il fait une place aux jeunes.
- J’aime internet parce qu’il fait peur aux journalistes et aux politiciens.
- J’aime internet parce qu’il me rend plus intelligent (ce qui ne veut pas dire que je le suis).
- J’aime internet parce que je ne travaille plus seul même aux projets les plus solitaires comme l’écriture d’un livre.
- J’aime internet parce que des gens m’y lisent.
- J’aime internet pour la longue traîne.
- J’aime internet parce que les majors y perdent toujours.
- J’aime internet parce que Radiohead y fait exploser le marché du disque.
- J’aime internet parce que les biens culturels y circulent librement.
- J’aime internet parce qu’il démontre que l’auto-organisation est possible.
- J’aime internet parce qu’il est décentralisé.
- J’aime internet parce qu’il est au-delà de la démocratie représentative.
- J’aime internet parce qu’il inaugure la société des connecteurs.
- J’aime internet parce qu’il nous aidera à sauver la planète.
- J’aime internet parce que je m’y sens libre.
- J’aime internet parce qu’il me surprend tous les jours.
- J’aime internet parce qu’il m’a guéri de la TV.
- J’aime internet parce qu’il est imprévisible.
- J’aime internet parce que les auteurs de SF l’ont rêvé.
- J’aime internet parce qu’il me fait encore rêver.
- J’aime internet parce vous y êtes aussi.
Je peux aussi répondre avec quelques phrases.
J’aime internet parce que vous y êtes aussi. C’est sans doute une raison suffisante. Je l’aime parce que j’y ai rencontré ma femme, parce que j’y gagne bien ma vie. Mais je l’aime surtout parce qu’il fait de nous des révolutionnaires. C’est l’histoire des mecs en jean qui fichent par terre les vieux business des cravatés.
J’aime internet parce que c’est une autoroute où circulent aussi des charrettes. C’est le sous-commandant Marcos qui a fait cette découverte. Internet fruit du capitalisme nous permet de rêver l’après capitalisme. Avec internet, nous atteindrons un nouveau stade de la civilisation humaine.
Mais après avoir écouté la première version du teaser monté à l’occasion de la soirée du 28 novembre, je pourrais aussi dire pourquoi je déteste internet. Parce que beaucoup d’entrepreneurs rêvent d’y faire ce que les entrepreneurs faisaient ailleurs. Ils ne pensent qu’aux dollars et se fichent des charrettes du sous-commandant Marcos.
J’ai alors songé à une des idées centrales de Taleb dans The black swans. Il y évoque les joueurs qui presque tous se souviennent de leur première partie, de ce jour où la chance était avec eux. Rien de plus étonnant remarque Taleb. Tous ceux qui n’ont pas eu de chance ont depuis arrêté de jouer. Ils sont au cimetière des joueurs. Ne survivent que les vernis de la première heure.
Il en va de même pour les entrepreneurs : les plus riches ne sont pas plus intelligents, plus doués ou plus visionnaires que ceux qui ont fait banqueroute. Ils ont juste était au bon endroit au bon moment. Quand on découvre leur absolu manque de recul et leur absence de conscience politique, il ne faut pas s’en étonner. Nous de demandons pas aux gagnants du loto de nous faire des conférences. C’est pourtant ce que nous demandons souvent à beaucoup de nos entrepreneurs.
Dans notre monde, quand tu gagnes de l’argent, tu as quelque chose à dire sur tout. Ainsi les footballeurs ont droit de philosopher à la TV, les chanteurs deviennent des intellectuels, les entrepreneurs des oracles. Je préfèrerais qu’ils se contentent de nous raconter leurs histoires. J’aime leurs histoires.