Pour moi, un hacker est un provocateur. Il provoque les défenseurs du droit d’auteur. Il provoque même les défenseurs du droit de propriété en posant des questions essentielles.
À qui appartient cet air que nous respirons ? Il n’appartient à personne. S’il devait appartenir à quelqu’un, ce serait à l’homme du futur, aux générations à venir qui en auront un besoin vital. Nous n’avons pas le droit de les déposséder.
La culture, aussi fondamentale que l’air que nous respirons, que le sol sur lequel nous vivons, est notre nourriture spirituelle. Personne n’a le droit de nous en déposséder.
Le hacker en cherchant à la libérer ne la vole pas, il se bat contre les voleurs, contre ceux qui cherchent à se l’approprier, à la rendre rare pour mieux la monnayer. Le hacker est un Robin des Bois. Je voudrais tenter de le décrire en dix points.
1/ Devoir de différence
[…] il est dans la nature du hacker d’être différent des autres le plus souvent et même, à travers le temps, de différer de lui-même, écrit McKenzie Wark. Hacker c’est se distinguer. Un manifeste Hacker ne pourrait se déclarer représentatif de celui qui est irréductible à la représentation.
Le hacker ne refuse jamais le dialogue car il ne s’enferme dans aucun clan, aucun parti, aucune coterie. En poursuivant la liberté de penser, la liberté pour la pensée, il fait exploser la notion de classe. Il ne libère pas seulement l’information mais il se libère lui-même des catégories, des représentations comme dit McKenzie Wark.
Pour le hacker, les étiquettes n’ont aucun sens puisque dans un monde qui vit une évolution exponentielle rien ne subsiste longtemps inchangé. Le hacker veut toujours être autre chose.
2/ Vous êtes les experts
Une fois que les classes ont explosé, plus personne n’a de légitimité particulière. Je vous parle, vous pouvez me commenter, me contredire, me corriger… Je ne suis pas le détenteur de l’expertise, vous êtes ensemble les experts. Le hacker reconnaît qu’il n’y a pas de maître. Cette catégorie aussi vole en éclat.
Vous êtes un universitaire et alors ? Vous exposez à Beaubourg et alors ? Pour un hacker, l’habit ne fait pas le moine.
3/ A-culturation
Quelle est la force de cette culture sans expert ? Est-t-elle inférieure à la culture des élites ? Je ne le pense pas car qui définissait la qualité par le passé sinon des experts nommés par d’autres experts, souvent par l’intermédiaire des services gouvernementaux.
Jusqu’à présent la culture n’a été qu’une représentation particulière de l’ensemble des cultures possibles, une représentation dominée un temps par la figure du professeur d’université, aujourd’hui par les médias.
Je remarque au passage que McKenzie Wark est lui-même professeur. D’une certaine façon, il hacke le système de l’intérieur. Mais je crois que le véritable hacker doit se libérer du système qu’il combat. Il me paraît difficile de vouloir libérer l’information et d’être payé directement ou indirectement par ceux qui cherchent à l’enfermer, les fameux vectorialistes dont parle McKenzie Wark.
4/ Relativisme culturel
La disparition des experts implique la disparition des frontières qu’ils tentaient d’élever pour préserver leur pré carré. Une fois la figure tutélaire de la culture détruite, nous nous retrouvons face à un flux de cultures qui chacune n’existe qu’au regard d’observateurs particuliers.
L’idée de culture est d’ailleurs un concept sans grande importance. Tout ce qui touche aux universaux, aux essences, est vide de sens pour un hacker puisqu’il hacke justement toutes les représentations.
5/ La connexion
Que sommes-nous en train de faire ? En cassant les classifications, en cassant le privilège de la légitimité, en acceptant de nous parler d’égal à égal quelles que soient nos histoires, nous nous connectons les uns aux autres, nous abolissons la société de classe, cette société hiérarchique et nous inventons une société de réseaux. Cette nouvelle structure implique un changement sociétal à tous les niveaux.
6/ Le don
Dans cette société décentrée, dans ce monde de réseaux, il n’y a plus d’institution canonique représentative de la puissance et de la vérité culturelle. L’homme peut enfin devenir responsable car il ne peut se retourner vers une autorité représentée. En conséquence, il a une chance de devenir libre. Le créateur (artiste, scientifique, ingénieur…) n’échappe pas à cette logique.
Je vois trois stades dans les derniers siècles de l’évolution culturelle occidentale. Avant la révolution française, le couple Église/Noblesse commande aux créateurs. Un art plus intimiste, plus populaire existait, je pense à la littérature souvent orale (le verbe a toujours été libre en quelque sorte).
À partir de la révolution, un nouveau couple s’installe État/Capital. Rien ne change à proprement parler. Nous vivons encore dans ce monde du mécénat institutionnalisé ou privé (la littérature y gagne un poids grandissant).
Peut-être qu’apparaît aujourd’hui un nouveau couple : Réseau/Don. Des réseaux se forment qui soutiennent des artistes. Ils n’achètent pas leurs œuvres qui circulent librement sur le réseau mais aident d’une façon ou d’une autre les artistes à travailler.
Lors des manifestations artistiques à venir, nous ne devrions plus voir sur les flyers promotionnels des logos d’institutions et d’entreprises mais les logos des réseaux impliquées. La fonction Cause de Facebook nous laisse entrevoir comment des réseaux pourraient se fédérer. Le don et l’échange deviendraient les monnaies qualitatives de cette nouvelle société.
7/ Éloge de l’empirisme
Dans ce monde de réseaux sans représentation stable, ce n’est pas parce qu’une chose n’a jamais existé qu’elle ne peut pas exister. Aucune forme dominante ne peut nous dissuader de tenter des expériences. La méthode de l’essai et de l’erreur est la seule envisageable.
Homme libre, nous avons le droit de nous tromper et de nous corriger. Hacker c’est expérimenter, bidouiller, jouer. Le hacker est un empiriste, il rejette la méthode inductive (qui d’une certaine façon suppose l’existence d’une vérité, et qui dit vérité dit classe pour la défendre ou la combattre).
8/ Inventeur d’outils
Le hacker peut bidouiller avec des outils inventés par d’autres ou inventer ses propres outils. Pour casser les frontières installées par les classes sociales, il vaut sans doute mieux utiliser de nouveaux outils auxquels personne ne s’est préparé à résister. User des outils disponibles, c’est se prêter aux règles d’un jeu déjà ancien. Dans ces conditions, il est quasi impossible de libérer quoi que ce soit.
9/ Tous codeur
J’ai évité jusque là toute référence à la définition du hacker comme fou d’informatique. Mais peut-on être hacker sans mettre son nez dans le code ?
L’ordinateur est un outil unique, un outil pour en créer d’autres qui permettent à leur tour d’en créer d’autres. L’ordinateur est l’outil qui ne cessera pas de surprendre. Aucune classe ne peut s’armer contre lui car c’est un pur outil de subversion, il se subvertit lui-même. Ainsi l’ordinateur est l’outil privilégié du hacker même s’il n’est pas le seul.
Il n’est d’ailleurs dans l’intérêt d’aucune classe de favoriser l’enseignement de l’informatique car les gens ainsi formés deviennent de potentiels subversifs. Heureusement que l’informatique est aujourd’hui une industrie florissante. Au nom du profit, les classes capitalistes et vectorialistes sont forcées de favoriser l’apparition des hackers qui deviennent de plus en plus nombreux.
L’artiste en tant que subversif doit donc être hacker. Il peut gagner sa vie avec ses hacks techniques et produire des hacks artistiques. Certains hackers peuvent bénéficier d’une renommée qui les verra promus par des réseaux.
10/ Monisme hacker
Hacker est un mode de vie. C’est la fin du métro-boulot-dodo. Le hacker ne divorce plus avec lui-même. Il n’introduit plus dans sa vie des moments, sorte de métaphore de la société de classe. Il hacke sans cesse.
Au final, le hacker est un connecteur. Ces deux mots sont synonymes pour moi. McKenzie Wark en a convenu quand je le lui ai expliqué.
Si je ne suis pas trop loin de vivre selon ces préceptes hackers/connecteurs, je vous accorde que c’est loin d’être gagné pour l’ensemble de la population. Je ne désespère pas. Je crois que nous avons un besoin vital de cette approche pour régler les problèmes auxquels se confronte le monde.
PS : Voilà ce que j’aurais pu dire lors de ma conférence de Marseille.