J’écris cet article en partie pour répondre à Lény. Dans un commentaire suite à mon manifeste sur la culture 2.0, il a dit :
L’idée qui voudrait que pour être en adéquation avec un temps technologique il faut utiliser la technologie est une connerie.
Je voudrais revenir sur cette connerie. Quand je regarde les œuvres du passé, en tout cas celles que j’admire, j’ai l’impression que leurs créateurs ont toujours été en adéquation avec leur temps. En nous parlant de ce qui était propre et unique en leur temps, ils ont réussi à nous parler à nous qui ne sommes plus de leur temps. Ils n’ont atteint cette adéquation qu’en usant des outils qui en leur temps équivalaient à notre technologie.
De nombreux courants traversèrent l’art du XXe siècle mais des relents psychanalytiques et introspectifs transparaissent presque toujours à travers eux. Les artistes n’avaient pas besoin de lire Freud ou ses adversaires acharnés comme Wittgenstein ou Popper. Étant de leur temps, ils découvrirent une nouvelle façon de traiter les problèmes, une façon tantôt expressionniste tantôt anti-expressionniste. Mais même dans les monochromes, comble du minimalisme, le spectateur était précipité dans l’introspection.
À cette époque, la psychanalyse et l’anti-psychanalyse étaient les outils dominants. Par exemple, le peintre, tout en usant du pinceau, usait d’un outre outil, un outil mental dans ce cas.
Un peu plus tôt dans le siècle, Proust, Joyce, Faulkner… manipulèrent le temps comme le faisaient au même moment les scientifiques. Ils n’avaient pas besoin de maîtriser les équations de la relativité mais ils en partageaient d’une certaine manière les conséquences. Ils inventèrent alors de nouvelles façons de structurer les récits. L’abstraction était un outil.
Aujourd’hui, la technologie joue le même rôle que la psychanalyse ou les concepts abstraits au XXe siècle. La technologie a toujours été présente dans la vie des hommes mais jamais avec autant de force. Elle devient l’outil. Un artiste peut-il l’ignorer ? Je ne le pense pas. Peut-il vivre avec sans l’interroger ? Je ne le pense pas. D’ailleurs Lény n’y échappe pas. Il suffit de parcourir son blog. J’aime particulièrement cette image.
Pour exprimer le courant psychanalytique ou antipsychanalytique, l’artiste pratiquait une forme de psychanalyse. Proust a écrit des équations riemanniennes avec ses livres. Pour être artiste aujourd’hui, il faut jouer avec la technologie.
Ainsi la BD est extraordinairement créative parce que les nouvelles technologies ont aidé à renouveler le genre, depuis les tablettes à dessin jusqu’aux systèmes d’encrage.
Cette sculpture en papier de Jen Stark n’a pas été tracée au laser mais elle aurait pu l’être. C’est ça qui importe. Que Jen Sark ait utilisé la techno ou non n’a pas d’importance. Elle est influencée par elle. Pour que cette influence se produise, je crois qu’il faut se confronter à la technologie.
Il s’agit bien sûr de la technologie numérique, cette technologie qui se présente sous la forme d’outils reconfigurables indéfiniment. Un ordinateur ne peut pas être comparé un stylo ou à un pinceau. C’est un outil pour créer d’autres outils, c’est un méta-outil.
Les artistes peuvent-il se contenter d’utiliser des outils ? Oui, bien sûr, Jen Stark nous le prouve. Mais, quand je regarde ses œuvres, je les trouve décoratives. Il leur manque à mon sens cette chose indéfinissable qui fait le caractère artistique.
Je crois que celui qui prétend aujourd’hui à l’art doit passer au stade méta. Pour ce faire, il doit être hacker.