Ma mise en question de l’art du blog ainsi que ma réponse aux critiques a suscité quelques doutes chez certains lecteurs et blogueurs notamment chez Michel Leblanc et Axel Karakartal. Je voudrais préciser ma position à l’aide d’une interview imaginaire comme en faisait André Gide. -- Pourquoi un blogueur qui continue à bloguer annonce-t-il que le blog est mort ?
-- Je ne suis pas masochiste. Si je croyais que le blog était mort, j’aurais fermé le mien tout simplement. Je pense juste qu’une certaine forme de blog est morte, celle où tout le monde disait tout et n’importe quoi juste pour garder le contact avec ses amis. Il y a aujourd’hui des outils communautaires mieux adaptés, plus à la mode en prime.
Pour moi, bloguer est un art et non pas un business. Je pense d’ailleurs que le blog comme business est aussi mort, toujours parce qu’il y a des nouveaux outils de viral marketing comme de travail de groupe.
-- Michel Leblanc dit que c’est ce qui arriverait à un danseur qui affirmerait la danse morte et tenterait de le prouver. Les impressionnistes ont proclamé l’art officiel mort et se sont fait lyncher. C’était un passage obligé pour inventer un art nouveau. Les romantiques avaient subit le même sort avant eux, les dadaïstes le subirent après. Au regard de la génération installée, la nouvelle génération apparaît souvent comme destructrice. Je veux bien détruire la forme 1.0 du blog pour participer à la construction de la 2.0… même si je ne la connais pas encore.
Une chose est sûre : si nous autres blogueurs ne questionnons pas notre pratique, nous ne la feront pas évoluer. Le retour réflexif peut être mauvais si nous nous y abandonnons à longueur de temps mais je crois que nous devons nous y exercer par intermittences. C’est juste ce que j’ai fait, à la suite d’autres blogueurs d’ailleurs.
-- Vous continuez donc à bloquer ?
-- Certains aimeraient peut-être que j’arrête et que je leur laisse dire que le blog est un must do pour toutes les entreprises et tous les individus. Je ne vais pas leur laisser le terrain libre.
Au début d’internet, des tonnes de web agencies se créèrent pour abuser les gogos. Aujourd’hui, il se produit la même chose avec les blogs agencies. Comme créer un blog ne demande pratiquement aucune compétence, beaucoup de gens y voient un business avantageux. Pour rien au monde, ils ne veulent entendre que le blog est mort comme outil marketing.
D’ailleurs, je ne le pense même pas. Un blog est maintenant un site comme un autre. S’il touche une cible identifiée, s’il a de l’audience, il peut avoir un impact marketing. TechCrunch est un excellent exemple. Mais le premier blogueur venu ne deviendra pas Michael Arrington. Il ne suffit pas d’ouvrir un blog pour faire la différence. C’était possible à l’époque où, dès qu’une entreprise ouvrait son blog, il y avait un journaliste pour le signaler. Pour l’impact, il vaut mieux sauter sur les nouvelles technologies. Le blog permet en revanche un travail de fond. Il exige beaucoup de patience ce qui est souvent contradictoire avec les impératifs mercantiles.
-- Allez-vous donc devenir un blogueur intégriste ?
-- Ça n’a pas de sens puisqu’un blog est un site comme un autre. Il n’y a pas de forme canonique du blog. Au mieux peut-on dire que sur un blog des billets sont publiés suivant une chronologie inversée et que les commentaires sont ouverts.
Je suis attaché à cette forme. Elle m’apporte beaucoup. D’une certaine façon, elle me procure de la joie. Je ne suis pas prêt à la lâcher.
-- Pourquoi alors avez-vous généré une version PDF de votre blog 2006 ?
-- La forme blog est pratique pour ceux qui lisent quotidiennement ou débarquent au hasard sur un billet via les moteurs de recherche. C’est un mode de lecture attaché à l’instantanéité de la publication, mode de lecture proche de celui que nous pratiquons avec la presse. Les nouveaux articles viennent en quelque sorte effacer les anciens dans une course à la nouveauté.
Je n’ai pas une démarche journalistique mais plutôt d’auteur. J’estime que mes billets racontent une histoire, construisent peu à peu une vision du monde (en tous cas la mienne). L’actualité s’y retrouve parfois, peu souvent d’ailleurs, mais pour servir d’exemple à l’exploration des idées. Je ne cherche pas à informer mais à réfléchir sur le monde.
C’est pour cette raison que j’ai effectué un « reverse bloging » en remettant, à l’aide d’un PDF, mon blog dans l’ordre d’écriture, virant au passage les billets trop attachés à la temporalité fugitive. En devenant un diary (pour ne pas dire journal et engendrer des confusions), mon blog sonne différemment je crois.
Nous avons deux possibilités de lecture : LIFO (last in, first out) et FIFO (first in, first out). Le blog est traditionnellement du LIFO (je lis le dernier article publié). Mais nous avons aussi le choix de générer une version FIFO (a posteriori, je lis dans l’ordre d’écriture et je vois si tout cela se tient et avance).
Nous pouvons imaginer d’autres modes, en essayant de multiplier l’hypertextualisation et en donnant à nos textes un caractère plus organique. J’essaie de lier mes papiers le plus possible mais l’exercice est laborieux. Il faudrait un système intelligent qui renvoie systématiquement vers les textes connexes que nous avons déjà écrit. Ce système devrait, par ailleurs, tenir compte de ce que le lecteur a déjà lu pour lui offrir toujours de nouveaux chemins de lecture. Je rêve de lire les auteurs classiques de cette façon (bientôt nous disposerons de tels outils et nous découvrirons la littérature mondiale sous un nouveau jour).
-- Pourquoi avez-vous édité une version papier ?
-- J’aurais pu me contenter de ma version FIFO en PDF mais je l’ai aussi publié sur lulu.com parce que l’encre électronique n’est pas encore là (le dernier lecteur Sony a fait un flop). Quand cette encre sera disponible, il ne servira plus à rien d’imprimer des livres. En attendant, il est difficile d’avoir un rapport fort avec des textes longs sur écran. C’est en tout cas mon expérience et je crois que beaucoup de gens la partagent. L’écran est parfait pour le LIFO propre au blog et à la presse mais il n’est pas adapté au FIFO.
L’encre électronique nous promet d’unir les deux mondes, et même le troisième que j’évoquais. Alors les livres papiers n’auront plus lieu d’être. C’est pour bientôt mais ce n’est pas encore là.
J’ai lancé une maison d’édition en ligne en 2000 en croyant que cette technologie serait courante l’année suivante. Nous attendons encore mais, quand cette technologie arrivera, le monde de l’édition sera aussi secoué que celui de la musique par le MP3.
-- Vous avez affirmé qu’aucun blogueur n’avait jamais réussit ? Quel est votre étalon pour mesurer la réussite ?
-- Dans mon article, je parlais de la réussite comme vedette : visible, connue, reconnue… Je parlais de cette réussite qui brille et qui peut donner envie à d’autres de connaître la même. Le Meur a gagné cette visibilité, Arrington aussi, Scoble… il y en a d’autres mais ils sont surtout visibles dans un microcosme 2.0.
Grâce à des gens comme eux, le phénomène blog s’est propagé. Grâce à des succès d’audience, parce qu’ils ont fait parlé d’eux dans les médias, des millions de gens ont eu envie de bloguer même si eux-mêmes avaient souvent des ambitions plus modestes. Nous avons besoin de succès pour maintenir l’intérêt. Je n’ai jamais dit que tout le monde devait avoir du succès.
Je suis sûr par exemple qu’il y aurait beaucoup moins de films si jamais aucun film n’emportait une audience d’une certaine ampleur. Il faut des locomotives dans tous les domaines. Je ne crois pas à un monde nivelé par le bas, où chacun bloguerait par pur plaisir. La concurrence comme la controverse sont positives et nécessaires.
-- Mais un romancier qui vent 3 000 exemplaires par an, ce qui n’est déjà pas si mal, est moins visible que beaucoup de blogueurs !
-- Croire ça est une illusion. Quand un romancier a 3 000 lecteurs, il a 3 000 lecteurs qui ont lu 200 ou 300 ou même 500 pages de lui. Un blogueur qui reçoit 3 000 visiteurs par mois donne à lire beaucoup moins à chacun de ses lecteurs. Pour comparer avec un auteur, il faudrait connaître le nombre de gens qui lisent disons 90 % des billets sur une année.
Je n’ai aucune idée de ce nombre pour mon blog. Sur 15 000 visiteurs différents par mois, combien reviennent tous les jours ? Moins de 1 000 à coup sûr. Donc, au mieux, j’ai trois fois moins de lecteurs qu’un romancier moyen. Par rapport à un auteur un peu visible, qui vend plus de 50 000 livres par an, je n’existe pas. En terme d’audience de masse, pris un à un, les blogueurs ne pèsent pas, sauf exception. Je voudrais que de telles exceptions se multiplient pour motiver les réussites moins quantitatives.
-- Vous n’avez donc jamais parlé de la réussite en soi.
-- Je combats sans cesse l’essentialisme, je serais bien embarrassé pour définir la réussite, elle est relative à chacun. Par exemple, j’estime réussir avec mon blog.
- Une communauté s’est créée et je crois que nous nous stimulons les uns les autres (même les nombreux lecteurs qui ne postent jamais de commentaires, les plus nombreux à vrai-dire). En tout cas, ça me fait beaucoup avancer. Je suis souvent pressé de revenir devant mon écran pour découvrir les critiques des uns et des autres.
- Je suis d’autant plus heureux quand je découvre des gens en désaccord avec moi. Je parais souvent énervé, excédé même, mais je suis obligé de m’expliquer et de prendre en compte des points de vue éloignés des miens. C’est un enrichissement énorme pour moi.
- J’ai rencontré de nouveaux amis, nous avons des projets de boîtes, de BD, de livres, de voyages, de révolutions…
- Nous créons peu à peu un réseau au travers duquel des idées circulent… pas toujours aussi vite que je le voudrais mais les choses avancent.
- J’ai l’impression de participer à une entreprise plus grande que moi. C’est un sentiment assez exaltant pour l’athée que je suis.
- Les hommes politiques comme les entrepreneurs s’intéressent à ce qui se dit ici. C’est important, ça signifie que nous sommes dans la réalité, que nous pouvons la transformer.
- J’ai des lecteurs. C’est très important pour quelqu’un qui, comme moi, a consacré sa vie à l’écriture.