L’évolution fonctionne virtuellement. Ce n’est pas une preuve qu’elle fonctionne dans la nature mais un élément de plus pour en être quasi certain. Cette presque confirmation de la théorie darwinienne cause beaucoup de troubles aux essentialistes.
S’il y a évolution, il n’y a pas de nature humaine essentielle… sinon une nature humaine en constant devenir. Il n’y a pas plus d’éthique ou de morale gravées dans le marbre. Tout est susceptible de changer et d’évoluer (évoluer ne veut pas dire progresser). D’un point de vue biologique, refuser qu’une chose évolue serait même la condamner à mort.
Notre monde évolue de plus en plus vite à cause de nos activités de plus en plus effrénées. Nous avons deux possibilités.
- Nous réduisons nos activités dans l’espoir de ralentir l’évolution du monde.
- Nous acceptons les changements qui surviennent et nous nous adaptons à ces changements en changeant nous-mêmes.
La première voie nous est malheureusement interdite (même si elle peut être vue comme une adaptation aux changements). Nous avons mis le monde dans un tel état de surchauffe que, dans le temps imparti pour réagir, nous ne pouvons le refroidir que par de nouvelles technologies (le bio est une technologie de refroidissement mais insuffisante à elle seule). Cette course à l’innovation nous condamne donc à changer.
J’espère que ma position par rapport au dopage est ainsi plus claire. Les athlètes sont pour moi des pionniers. En tout cas, ils pourraient le devenir, en expérimentant pour nous les innovations technologiques qui demain nous permettrons de survivre.
Dans Wired, je suis tombé sur une liste de métiers à risque liés à la science. L’auteur aurait pu ajouter les sportifs de haut niveau.
Notes :
- Le 6 juillet 1965, je n’avais pas 2 ans, mon père m’a porté sur ses épaules jusqu’au sommet du Ventoux lors de la victoire de Poulidor. Deux ans plus tard, Simpson mourrait sur ces mêmes pentes. Depuis mon père n’a cessé de me raconter ce drame, finissant par me persuader que nous étions au bord de la route le 13 juillet 1967. Dans mon imaginaire, j’étais au chevet de Simpson, j’ai vécu son agonie. Et c’est parce que je ne veux pas que de tels drames se reproduisent que je crois qu’il faut encadrer « le » dopage qui ne peut être banni.
- Interdire le dopage n’a jamais empêché les hommes de se doper. Vouloir gagner une épreuve sportive n’est qu’une raison parmi d’autres qui poussent les hommes à se doper.
- Les neurologues ont découvert que notre tendance à inventer des histoires pour justifier des faits inexplicables s’amplifiait lorsque notre niveau de dopamine était élevé. Quand est-ce que les romanciers utiliseront cette dope là ?
- Je ne suis pas pour le dopage. Je constate simplement que les hommes se dopent, que nous nous dopons presque tous. Je suggère juste de canaliser cette propension au dopage dans une direction qui profiterait à l’humanité.
- S’arcbouter sur un interdit de polichinelle ne sert à rien. Nous ne pouvons interdire que ce que nous savons détecter mais nous sommes forcés d’autoriser ce que nous ne connaissons pas. Il en va ainsi pour les nouvelles drogues qui sont légales tant qu’elles n’ont pas été classifiées (il en existe des centaines, souvent plus redoutables que celles distribuées par les dealers).
- Je n’ai pas envie de parler de dopage mais de nouvelles technologies, des technologies qui nous permettraient de dépasser nos limites humaines. Un pacemaker est un artefact technologique de cette espèce. Il permet de dépasser la limite de la mort pour beaucoup de nos contemporains. Je ne vois pas pourquoi nous accepterions de dépasser cette limite et pas celle du temps mis pour courir le cent mètres.
- Je ne confonds pas dépassement de soi et dépassement des autres, ce qu’est devenu le sport de compétition aujoud’hui. En art, le dépassement des autres n’a aucun sens et les artistes ne cherchent qu’à se dépasser eux-mêmes, ce qui n’interdit pas l’usage des drogues, usage qui n’est d’ailleurs pas réellement légiféré. On ne va pas détruire la poésie de Baudelaire parce qu’elle a, en partie, été écrite sous hallucinogène.
- Excepté pour les essentialistes, l’éthique sportive n’existe pas, pas plus qu’une autre éthique en particulier. Au contraire, de multiples éthiques coexistent et évoluent.
- Dans l’esprit de beaucoup de gens, l’éthique sportive veut que les adversaires concourent à armes égales. Mais qu’est ce que ça signifie ? Par exemple, si vous êtes plus riches, vous pouvez vous entraîner dans de meilleures conditions.
- Par ailleurs, nous ne sommes pas tous égaux. Par exemple, la vitesse à laquelle notre organisme achemine l’oxygène à nos muscles est en moyenne de 40 à 50 ml/kg/min. Au mieux de sa forme, Lance Amstrong était à 83,8, Miguel Indurain était à 88. Même sans entraînement ces hommes ne luttent pas à armes égales.
- Pourquoi interdire à certains hommes de compenser leurs déficiences génétiques ? Au nom de quelle éthique ? Interdisons-nous aux malades de se soigner ? Pour un sportif, concourir et gagner, c’est vivre. Pour lui, se doper, c’est soigner ses imperfections.
- Je ne me drogue pas, je ne bois même pas du café. Quand je dis que je me droguerai le jour où je sentirai mes capacités intellectuelles défaillir (si j’ai un jour cette lucidité), je ne confonds pas « me soigner » et « me doper ». Le vieillissement n’est pas une maladie. Depuis la nuit des temps, les hommes acceptent ses aléas. Mais si on nous propose de les dépasser, la plupart d’entre-nous le ferons.
- Les sportifs ne sont pas plus malhonnêtes que nous. Ils veulent être au meilleur de leur forme, ils veulent dépasser cette forme pour l’emporter. Les intellectuels et les artistes sont moins obsédés quant à leurs performances parce qu’elles ne se mesurent pas quantitativement.
- Pour éviter le dopage sauvage, la prise de risque insensée, il faudrait réduire les bénéfices potentiels qu’apportent le dopage. Malheureusement, nous vivons une société des spectacles où le champion est roi, et surtout riche. Tant que nous vivrons dans un monde dominé par le quantitatif, il y aura du dopage, il y aura des gens pour enfreindre les règles.
- Comme il y a trop à gagner, dès l’enfance on entraîne à gagner, donc on prépare au dopage. Les parents sont les premiers responsables.
- Le système éducatif, avec ses examens et ses concours, est tout aussi responsable. Il pousse à prendre des vitamines… et d’autres produits bien plus puissants. Sur Agoravox, on m’a dit que la Modafinil n’était pas un dopant. Quand tu ne dors pas pendant 48h non stop tout en restant au top de ta capacité intellectuelle, tu n’es pas dopé ? Il y a longtemps que les étudiants instruits ne tournent plus au Guronsan (et que la nécessité d’ordonnance ne rebute pas). Il est d’ailleurs facile d’acheter tous ces produits en ligne.
- Pour lutter contre la triche, nous devons développer la transparence, faire en sorte que tous les dopages potentiels soient connus. Malheureusement, nous ne pouvons pas mettre une escadre médicale derrière chaque sportif. Si pour concourir, il fallait renoncer à son intimité, ce serait une atteinte à l’intégrité personnelle au moins égale à celle provoquée par le dopage.
- Légaliser seulement les nouveaux dopages ne mettrait pas en danger les enfants car ils n’y auraient pas accès. Dans un esprit de transparence, tous les sportifs, quel que soit leur niveau et leur âge, devraient subir régulièrement des tests de dépistages des dopes connues. La course à l’innovation ne serait pas fermée et la santé publique serait préservée.
- Le café permet de rester éveiller un peu… la Modafinil beaucoup plus… et de nouvelles molécules qui arrivent encore plus. Pourquoi autoriser les unes plutôt que les autres ? Parce que la culture normalise le café… dans certaines cultures les drogues hallucinogènes sont normalisées.
- Mais où mettre la limite ? Les essentialistes croient qu’elle existe. Définissez-la de manière objective et définitive (ce qui n’a pas de sens dans une perspective évolutive). Qu’est-ce qui est artificiel et ne l’est pas ? Encore une fois, seuls les essentialistes sont capables de répondre à cette question. Faire avorter les championnes après quelques semaines de grossesse est une drogue naturelle « moralement » plus répréhensible que toutes les dopes technologiques.
- Pour moi, tout ce qui nous permet de nous dépasser est une dope. L’ascèse est une dope, la méditation aussi, l’entraînement aussi. Un entraînement extrême peut détruire la santé, même tuer, tout comme un régime alimentaire mal approprié.
- Le désir de dépassement de soi comme des autres est inscrit dans la nature humaine. Nous devons accompagner ce désir et non le nier car il est un bien précieux.
- Autant le désir de dépassement des autres me paraît médiocre, autant le dépassement de soi, malheureusement corolaire, doit être encouragé. Notre culture résulte des chefs-d’œuvre des millions d’hommes qui ont cherché à se surpasser au cours de notre histoire.
- Les chances égales, l’éthique sportive, les règles inviolables… rien de tout cela n’existe. Les génies sont justement les hommes capables de faire exploser les barrières.
- Ce problème du dopage, comme beaucoup d’autres dans notre société, ne se règlera que si nous passons d’un âge des quantités à un âge des qualités, en d’autres mots, que si nous abandonnons le modèle capitaliste pour un modèle beaucoup plus collaboratif.
- En attendant, regardons le problème en face. Cherchons une solution. La meilleure arme à notre disposition aujourd’hui est peut-être la collaboration.
- Sur le tour de France, les coureurs pourraient collaborer à l’équité. Ils n’ont aucune raison d’accepter la tricherie de quelques uns. Dénoncer n’est pas méprisable une fois qu’il s’agit de la santé d’autrui. Ne pas le faire serait refuser de porter assistance à une personne en danger. Mais les coureurs sont-ils les seuls coupables ? Sont-ils les mieux informés ? Je ne le crois pas.
- Le cyclisme est un sport de performances relatives. Si un coureur se dope, les autres sont obligés de le faire et ainsi de suite. Cette escalade ne profite pas au spectacle mais seulement aux meilleurs tricheurs.
- Plutôt que le contrôle antidopage soit piloté de l’extérieur (par des règles arbitraires appliquées arbitrairement par des instances internationales pas toujours équitables), il faudrait que les coureurs eux-mêmes fixent les règles. Ils se connaissent, ils courent ensembles depuis des années, ils ne peuvent manquer de noter avec étonnement les progrès faramineux de certains de leurs collègues.
- Il est bon de rappeler que Zidane, notre héros national, doubla de masse musculaire après un an dans le championnat italien. Personne ne cria alors au scandale...
- En tant qu’amoureux du tour de France, je me moque de la vitesse où les cols se montent. J’attends des surprises, des attaques, des défaillances, des retournements de situation… Le vélo est un sport tragique au sens Grec. Je peux suivre une étape de montagne durant des heures dans l’attente d’un climax. Je ne veux pas que des hypocrites gâchent le spectacles.