Depuis que j’ai publié Le peuple des connecteurs, beaucoup de gens m’accusent d’être souvent limite dans mes propos et théories. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire puisque je pense qu’il faut sauter les frontières entre les coteries de pensées. À mon sens, ceux qui ne sont jamais limites n’ont rien à dire. Nous ne pouvons pas prétendre faire avancer le monde sans dépasser les limites.
Il existe sans doute des limites de différents types, certaines dont le franchissement est plus acceptable. Mais celui qui vit sur la frontière se met nécessairement en porte-à-faux à un moment ou à un autre. Il faut savoir ce qu’on veut. Dépasser une frontière donnée peut entraîner des dépassements annexes, inévitables, peut-être souhaitables.
Souvent quand on m’accuse d’être limite c’est parce que je n’ai pas été assez clair, parce que je n’ai pas détaillé ma pensée, supposant que mes lecteurs me comprenaient. Quand je dis être contre le vote, les gens ont vite fait de croire que je suis contre la démocratie. Être contre le vote est plus que limite de nos jours. Pourtant, le vote n’est pas très démocratique, c’est un minuscule progrès par rapport à la dictature. Et si je suis contre le vote, je ne suis pas contre le droit de vote. La nuance est gigantesque.
De même, quand je dis que le salariat n’est qu’un régime temporaire dans l’histoire humaine, on m’accuse d’esclavagisme ou d’être contre les droits sociaux. Pour moi, le salariat est un esclavage. Un homme travaille pour un autre qui dispose de son temps en échange d’argent. Disposer du temps de quelqu’un, c’est disposer de sa vie, au moins temporairement. Le salariat est un statut bien meilleurs que l’esclavage seulement parce qu’il existe un droit du travail, c’est tout.
Je pense que l’avenir est à la collaboration. Des gens travaillent ensemble. Dans les projets qui les lient, ils partagent leurs revenus. Cette vision est très loin du communisme, une même personne pouvant collaborer à de nombreux projets, donc gagner beaucoup plus qu’une autre qui collabore moins. Par ailleurs, il y a des projets rentables, d’autres non.
Ce système est socialement positif. Quand on se lance dans une aventure commune, on oublie les forces et faiblesses des uns et des autres. On y va pour le meilleur et pour le pire. On se soutient les uns les autres. Si chacun de nous pouvait se retrouver associé à plusieurs groupes collaboratifs, il serait en bien meilleure position que dans le modèle du salariat actuel… et que dans celui offert par l’État providence.
Aujourd’hui, je fonctionne de cette façon. C’est possible. Je n’ai aucune sécurité de l’emploi mais j’expérimente une façon de vivre qui pourrait s’étendre à la société entière.
Certains vont maintenant dire que mon réalisme est limite, que je suis un idéaliste. C’est encore une histoire de franchissement. Nous n’avons pas à nous censurer a priori.
L’idée même qu’il existe des limites est dangereuse car, si une limite existe, elle peut toujours être déplacée dans un sens ou dans un autre, pas nécessairement dans le sens de l’humanisme. J’espère que nous serons capables de construire un monde en minimisant les limites, idéalement en les effaçant toutes.
Ce qui importe c’est le vecteur... la direction vers laquelle on va. Par exemple, étant contre la peine de mort, mon vecteur pointe dans ce sens pas dans celui de son rétablissement.
PS : Je me suis intéressé à Ératosthène parce qu’il vécut justement sur les frontières de tous les domaines.