Même si j’ai écrit mon Histoire de soumission sans nuances, je suis conscient qu’il y a aujourd’hui encore des esclaves et que l’égalité des sexes est loin d’être universelle. De même, les enfants sont souvent exploités et bien d’autres horreurs sont perpétuées par le genre humain.
Je crois malgré tout que certaines idées de justice progressent dans les consciences, c’est déjà beaucoup. Si on parle en nombre, il n’y a pas de progrès car la population humaine grandit très vite mais, en pourcentage, il y a un mieux. C’est en tout cas ce que ne cesse de montrer Hans Rosling.
En écrivant mon Histoire de soumission, j’ai mis des parenthèses partout pour dire qu’il y avait encore du travail, puis je les ai virées parce que je pense que c’est évident pour ceux qui me lisent.
Dans sa préface à l’Amérique, déjà Tocqueville note l’évolution vers plus de libertés, je pense qu’il a raison, même si ça ne progresse pas aussi vite que nous le voulons. En ce sens, à mes yeux, le salariat est un piètre progrès.
Toute l’histoire de l’évolution va dans le sens de l’émancipation, créant des êtres de plus en plus polyvalents, de moins en moins soumis à une niche écologique étroite. En ce sens, l’homme est une merveille, certaines bactéries aussi.
Mais, même si ce n’était pas le cas, je continuerais de promouvoir la décentralisation. Je ne suis pas un observateur, je le dis souvent. Je ne cherche pas à décrire la réalité mais à essayer de proposer un système qui nous donnera une chance de vivre plus heureux tout en surmontant les crises de la complexité, dont le réchauffement climatique n’est qu’un aspect.
Dans son papier sur les strates de l’État, José Ferré, qui a inspiré cette note par un commentaire, semble montrer que je me trompe, que nous allons vers plus de centralisation plutôt que vers moins. Durant la campagne présidentielle, j’ai d’ailleurs souvent pesté contre Ségolène Royal qui pensait mettre moins d’État en délégant aux régions. Hérésie. Comme le montre bien José, les strates hiérarchiques engendrent la centralisation sous la forme d’une pyramide monumentale, peu importe à quel niveau se situent ces strates.
Cette tendance de l’État français à se centraliser est-elle la preuve que je me trompe ? Non. Dans The Starfish and the Spider, Ori Brafman et Rod A. Beckstrom expliquent que les structurent centralisées vont vers plus de centralisation lorsqu’elles sont attaquées et inversement. Ils multiplient les exemples probants, José vient de nous en fournir un autre.
Plus nous allons réussir à nous affranchir de l’État, plus il se centralisera pour survivre, car il ne peut envisager de survivre dans un autre corps. Malheureusement son corps est malade. Soit il accepte de muter, soit il risque de nous emporter avec lui. Nous devons être les agents de cette mutation.
Un autre exemple. Comme le montre le dernier rapport de l’Open Net Initiative, plus internet se développe suivant un modèle décentralisé, plus il éveille des réflexes centralisateurs (contrôles des accès, flicage des internautes, règles draconiennes sur les informations publiées…). Et ce n’est qu’un début. Nous assisterons à une guerre éternelle, celle qui oppose les réseaux décentralisées aux structures pyramidales.
Par chance, les systèmes décentralisés sont plus robustes que leurs concurrents. Plus on les attaque, plus ils se renforcent, notamment car ils peuvent muter facilement.
Mais pourquoi existe-t-il donc des systèmes centralisés ? J’ai souvent parlé de leurs avantages. Ori Brafman et Rod A. Beckstrom en révèlent un que je n’avais pas perçu.
Plus une industrie devient centralisée, plus elle accroît ses profits.
Voilà pourquoi la lutte risque d’être terrible. Nous l’avons vu avec l’industrie de la musique, engagée dans son combat juridique contre le P2P… P2P qui n’a pas succombé, qui a sans cesse muté, mettant la dite industrie à genou. Mais elle n’est pas terrassée.