Dire que la loi protège le plus faible serait donner un avantage au faible l’amenant rapidement à devenir le plus fort. Non ? En tout cas, les choses se passent de cette façon dans la nature.
Dans Le peuple des connecteurs, j’ai donné l’exemple des morues. Quand nous avons interdit la pêche des petits spécimens, ces derniers se sont trouvés avantagés, l’espèce a évolué pour que les poissons adultes soient moins gros (et au passage de moins bons reproducteurs ce qui risque de condamner l’espèce).
Si la loi protégeait le plus faible, les faibles auraient pris depuis longtemps la place du plus fort. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas chez nous. Je crois plutôt que la loi a pour but de protéger les hommes des excès de quelques uns. Mais bon je ne suis pas juriste.
Quand la loi dit que le vol est puni, elle ne fait aucun présupposé sur la faiblesse ou la force du voleur et de sa victime. Pire, le fort est toujours avantagé car il peut se payer les meilleurs avocats. Même en cas de crime. Si la loi protégeait les femmes, elles seraient dominantes dans la société or une femme se fait tuer par son compagnon tous les trois jours en France.
Croire que la loi protège le faible est une idée reçue, une idée même dangereuse car elle implique que, plus on édicte de lois, plus le faible est protégé (d’où le populisme à la Nicolas Sarkozy).
Mais qui édicte les lois, qui les influence, sinon les puissants ? Les régimes autoritaristes qui multiplient les lois n’ont jamais été favorables aux plus faibles mais, au contraire, à une minorité toujours plus réduite.
Ce n’est pas par la loi, en tout cas la loi telle que nous la connaissons, que nous pouvons protéger les plus faibles. Mais comment faire ? Car il faut bien que celui qui se trouve dans un état de faiblesse puisse en sortir ?
Si la loi ne protège pas le plus faible dans l’absolu, quelques lois particulières peuvent le faire, celles notamment qui entérinent des acquis sociaux. Reste donc à savoir comme me le demandait Eric Culnaërt s’il est possible de protéger le faible dans un système auto-organisé, décentralisé et collaboratif ?
Je ne propose aucun système cohérent mais j’ai de bonnes raisons d’être optimiste.
- Le système actuel ne va pas s’écrouler, nous devons l’améliorer au contraire. Nous ne construisons pas un nouveau monde à partir de rien mais à partir de l’ancien. Ce monde commence sur des bases où le faible est un tant soi peu protégé à force d’acquis sociaux.
- Dans le nouveau système, les gens pourront continuer à défendre leurs droits comme par le passé, ils pourront se battre pour de nouveaux droits.
- Le modèle collaboratif implique la participation de beaucoup de gens. Si les gens ne sont pas satisfaits par un service collaboratif, il s’écroule. Le droit de grève et de protestation est contenu implicitement dans le principe collaboratif. Voilà la fameuse ligne de code qu’Eric Culnaërt me demandait d’introduire dans mon système (c’est un non-code comme le cinquième pouvoir est un non-pouvoir).
- Quand les usagers sont insatisfaits, ils peuvent très vite le faire savoir et s’auto-protéger (boycott et passage chez un concurrent par exemple). Par le passé, les acquis sociaux se sont gagnés à coup de batailles. Le système collaboratif me paraît beaucoup plus sensible à la grogne.
- Auto-organisation ne signifie pas absence de règles. Les usagers peuvent inventer de nouvelles règles et les essayer (c’est ce qui se passe dans tous les systèmes collaboratifs actuels).
- Si le faible n’est pas exclu du système, il peut se faire entendre beaucoup plus que dans une société hiérarchique. Les faibles peuvent collaborer plus facilement pour représenter une force.
- Comme dans toute société, il y aura des exclus. Nous avons déjà mis en place certains systèmes de solidarité, il faudra les développer, les rendre plus justes. La solidarité n’est pas inconciliable avec la collaboration. Au contraire, je crois qu’elle nous deviendra bien plus naturelle que dans un système où tout nous est dû par le haut.
- Car le véritable changement est là : responsabilité. Quand vous créez les produits que vous achetez, quand vous écrivez les lois du pays dans lequel vous vivez, quand vous fixez les programmes scolaires de vos enfants… vous devenez de plus en plus responsables (la responsabilité s’apprend). Les problèmes ne sont plus de la faute de l’État mais, surtout, de votre faute. Quand vous voyez un pauvre, vous vous devez de l’aider. Là encore, pas besoin d’ajouter des lignes de code. Le modèle collaboratif contient en lui-même la responsabilité, donc la protection du plus faible, ce qui est une responsabilité morale.
- Et quand ça ne marche pas il restera les bonnes vieilles lois. Je rappelle que ça ne marche pas toujours dans notre monde malgré les lois. La solution n’est pas tant dans la loi que dans la façon dont la société se structure.
Mais au final qui est faible qui est fort ? Cette notion est très relative. Qui est qualifié pour dire que quelqu’un d’autre est faible ou fort ? Quand le faible se dit faible, je l’entends. Quand c’est un politicien qui parle en son nom, je doute beaucoup. C’est une des raisons pour lesquelles je n’aime pas notre démocratie représentative et que je préfèrerais une démocratie collaborative qui reste à inventer.