Quelques journalistes commencent à me demander si le cinquième pouvoir pèsera lors de la campagne présidentielle 2007. Je n’en sais rien car tout ce qui touche au cinquième pouvoir est du domaine de l’imprévisible, comme tout ce qui touche à l’avenir des structures complexes.
En 2005, lors du référendum européen, personne ne pouvait prévoir qu’un certain Étienne Chouard publierait un papier qui ferait le tour du web en quelques jours.
En 2007, y aura-t-il un nouvel Étienne Chouard, un nouveau héros du cinquième pouvoir, qui viendra renforcer la popularité d’un candidat ou, au contraire, la détruire ? Personne ne peut le savoir, pas même celui, ou ceux, qui risquent de devenir ces nouveaux héros. Tout va dépendre des faits ou des idées qu’ils découvriront et seront capables de mettre en forme. Si l’un d’eux trouve quelque chose de fort, ça atteindra tous les esprits. Les autoroutes pour les idées, en tous cas certaines idées directement liées au débat politique droite-gauche, sont en place.
Je doute toutefois qu’un héros positif se dégage, tant les idées de nos principaux candidats sont mollassonnes, sans cohérence d’ensemble. Nous assistons plutôt à une juxtaposition de mesures sans liens intimes, ce qui fait qu’un programme ne peut pas être démontré meilleur que ceux des adversaires. C’est un drame. La situation était toute différente lors du référendum européen où nous avons assisté à un réel débat d’idée. Pour le moment, je cherche encore les idées originales qui animeraient la campagne présidentielle.
Nous assistons avant tout à une lutte de clan, une lutte partisane. Alors si un héros se dresse, ce sera très certainement un héros négatif, un héros qui trouvera un point faible dans la carapace d’un des candidats et réussira à le toucher à son talon d’Achille.
Mais l’influence du cinquième pouvoir ne se résume pas à des actes spectaculaires. La véritable œuvre du cinquième pouvoir se fait par petites touches imperceptibles, une lente accumulation de grains de sable qui seront capables de créer des avalanches monstrueuses.
À mon sens, le cinquième pouvoir a déjà joué un rôle prépondérant dans la campagne 2007. Sans internet, Ségolène Royal ne tiendrait pas son discours actuel. Dire que le pouvoir est entre les mains des citoyens est un discours purement web 2.0, c’est le discours de tous les entrepreneurs du web, c’est le discours inventé par Joe Trippi lors de la campagne d’Howard Dean en 2003 aux États-Unis. Le cinquième pouvoir a déjà façonné la campagne d’une des favorites à la présidentielle (à tel point que Nicolas Sarkozy semble développer un discours inverse et presque anti web).
Je crois aussi que le cinquième pouvoir a facilité l’accession de Ségolène à la tête du PS lors des primaires de l’automne 2006. Ce fait est moins facile à démontrer que le précédent, il n’est même pas démontrable, mais il ne fait aucun doute que le site Désirs d’avenir a aidé Ségolène Royal à décentraliser sa campagne, c’est-à-dire à donner aux militants les outils pour mener leur propre campagne en région, au niveau local.
Le cinquième pouvoir ne touche peut-être pas encore tous les Français mais il touche à coup sûr les hommes politiques et les journalistes qui ne peuvent plus l’ignorer et se trouvent influencés par lui. Par exemple, si internet n’existait pas, si le cinquième pouvoir n’existait pas, François Bayrou ne se serait jamais lancé dans sa campagne contre les médias dominants, car personne n’aurait relayé son coup de sang.