En écrivant Le cinquième pouvoir, j’ai constaté que, pour nombre de politiciens, internet est un outil de communication et non pas un espace de vie comme il peut l’être pour moi et de nombreux blogueurs. Beaucoup de politiciens ont une vision utilitariste du web.
Internet est apparu dans leur monde comme un trouble-fête qui change peu à peu les règles, donc qui effraie. Tous avouent ses bienfaits, tous mettent surtout en garde contre les risques de dérive.
Ils ont raison d’être prudents. Mais nous ne vivons pas dans une société idéale et internet n’a pas la prétention de contribuer à la construction de cette société. J’espère qu’il nous aidera simplement à établir plus de justice, plus de démocratie, plus de transparence, plus de liant social… et que, en donnant l’exemple de nouveaux modes d’organisation, il nous permettra de résoudre les grands problèmes auxquels fait face le monde.
Chaque révolution technologique éveille de la réticence chez ses réfractaires comme chez ses premiers usagers. Au XIXe siècle, le train était sensé nous désincarner car la vitesse risquait de déboulonner notre âme. Aujourd’hui, ça fait rire mais pas plus que certaines des craintes éveillées par internet.
Je rencontre de plus en plus de professeurs, d’éducateurs, de politiciens et de fonctionnaires dont le travail est de favoriser le développement des nouvelles technologies dans notre pays mais qui, eux-mêmes, ne les maîtrisent pas. Ils parlent d’autant plus facilement de la fracture technologique qu’ils sont justement du mauvais côté de cette fracture. Leur méfiance n’est alors guère objective.
Ils me font penser à ces mélomanes qui ont toujours écouté du classique et qui se permettent de juger le jazz. Comment connaître le goût de la cerise sans avoir jamais goûté de cerises ? Je crois que c’est impossible. On aura beau lire tout ce qu’on voudra sur les cerises, on ne connaîtra jamais leur goût. Des écrivains pourront nous donner l’impression de connaître ce goût, ils arriveront à le transcender, mais ils inventeront en nous leur goût de la cerise, un goût sans rapport avec celui que nous pouvons expérimenter.
Pour commencer à comprendre internet, pour avoir juste une chance de comprendre, il faut goûter la cerise, il ne suffit pas de la regarder ou de lire des discours à son sujet. Les théories n’ont aucune importance, il suffit de croquer le fruit à pleine dent. Il faut surfer, chater, bloguer, publier dans les forums, se faire de nouveaux amis, collaborer à des wikis, participer aux communautés web 2.0, éventuellement développer des logiciels open source, tout au moins jouer avec ces logiciels, expérimenter les idées qui les sous-tendent.
Si cette compréhension n’est pas indispensable à tous les citoyens, elle l’est tout au moins à ceux qui entendent penser et agir pour les autres, c’est-à-dire pour tous ceux qui font de près ou de loin de la politique au sens le plus noble. Ils n’ont pas le droit de clamer que les nouvelles technologies désocialisent les citoyens juste parce qu’eux-mêmes ne participent pas à l’aventure technologique.
Quand je vois tous ces jeunes adeptes de MSN Messenger, des Skyblogs et ou de MySpace, je n’ai pas l’impression qu’ils sont exclus. Au contraire, ils apprennent à communiquer et à participer. Ils vivent dans un monde d’interactions électroniques comme leurs parents vivent dans un monde d’informations télévisées.
Certes il y a des exclus. Certains par choix, d’autres par fatalité sociale. Ces derniers doivent être aidés. On doit leur acheter du matériel, on doit les former et, surtout, on doit leur donner envie de se joindre à la grande fête à laquelle nous sommes de plus en plus nombreux à participer.
Si j’écris Le cinquième pouvoir, c’est pour montrer qu’il se passe aujourd’hui des choses formidables. Tout le monde n’en profite pas encore mais notre devoir est de faire en sorte que demain tout cela soit à la disposition de tous. Il ne s’agit pas d’une histoire de mode mais d’une révolution que personne n’arrêtera. Une fois que nous avons goûté aux nouveaux outils technologiques nous ne pouvons plus être les mêmes car nos moyens d’action sont démultipliés.