Je ne suis pas du tout d’accord avec ce principe. Et j’éprouve le besoin de m’expliquer à ce sujet après le commentaire d’Adam Kesher. Je me suis déjà expliqué une première fois en parlant du crowdsourcing et du web 2.0. Je recommence car Kesher me reproche en gros de vous exploiter, vous lecteurs qui avez proposé des idées de titres pour mon prochain livre.
J’ose espérer que des hommes libres peuvent échanger des idées sans avoir besoin de se les facturer. Chaque fois que nous écrivons dans nos blogs, nous ne faisons pas payer l’accès à nos écrits. C’est justement tout l’intérêt des blogs, de permettre à des gens de se rencontrer, à des idées de se féconder. Mettre de l’argent là dedans ce serait la mort du système. Qu’une idée émise par l’un de nous, récupérée par un autre, transformée ailleurs finisse par générer de l’argent quelque part ne me pose aucun problème. C’est le principe même de l’open source. C’est de cette façon que naîtra le cinquième pouvoir.
Il ne faut pas oublier que les salaires sont avant tout un moyen pratique pour l’État de ponctionner sa dîme au passage. Lorsque nous échangeons des idées ou des services, l’État est impuissant, il ne contrôle plus. Internet, en nous aidant à échanger, met en question justement le principe même de l’imposition. L’échange est donc un acte contestataire à mes yeux très important. Ainsi, quand je publie un article chez Agoravox, je n’attends aucune rétribution même si Agoravox peut gagner un peu d’argent grâce à ma contribution.
Il y a des choses que nous faisons dans la vie pour de l’argent mais je ne vois pas pourquoi nous n’agirions que pour l’argent. Nous pouvons aussi agir par amitié, par désir de partage, de reconnaissance, par pur altruisme… l’argent n’est pas un passage obligé et j’espère qu’il le sera de moins en moins. Si nous entrons, comme je le pense, dans une époque où les qualités deviennent plus importantes que les quantités, l’argent sera un étalon de moins en moins nécessaire. Tout n’est pas quantifiable en valeur, heureusement. Encore une fois, nous vivons dans une société où on nous a inculqué le contraire.
Quand un artiste écrit un livre, peint une toile, compose de la musique… le plus souvent il ne le fait pas pour de l’argent. La grande majorité des œuvres ne rapportent rien à leur auteur. Flaubert disait toujours que madame Bovary lui avait coûté. Très souvent nous ne travaillons pas pour de l’argent mais parce que nous en éprouvons le besoin, parce que nous avons envie de transmettre quelque chose, de contribuer à l’aventure humaine. Il serait dommage d’enrayer ce phénomène sous prétexte que tout travail mérite salaire.
Par provocation, je dis souvent que le statut de salarié n’est qu’un statut d’esclave déguisé. Pour un salaire arbitraire, le salarié offre à son patron presque toujours plus qu’il ne reçoit. Cette exploitation du travail devrait être interdite et cet interdit inscrit à la déclaration des droits de l’homme. Nous avons le droit de collaborer à des projets collectifs mais il devrait être interdit de quantifier arbitrairement et a priori cette collaboration. Nous devrions toujours être partenaires dans le business, en être systématiquement les actionnaires.
Et je ne prône pas ainsi une forme de communisme mais un capitalisme sans chef, sans patron qui se place au-dessus des employés, un capitalisme d’hommes libres qui échangent librement leurs services. Un jour le statut de salarié sera sans doute regardé comme une monstruosité. Il ne faut jamais oublier que l’esclavage a longtemps été acceptable, même pour les esclaves qui étaient incapables d’imaginer un monde sans esclaves.
Le salariat n’est qu’une humanisation de l’esclavage. Une humanisation somme toute assez primitive.
PS1 : J’éprouve toujours une certaine gêne quand quelqu’un parle au nom des Autres. De quel droit ? Est-il un Autre ? Alors pourquoi ne pas dire je. Et s’il n’est pas Autre que sait-il vraiment des Autres surtout s’ils sont silencieux ? Et s’il parle en leur nom, c’est donc qu’ils ne sont pas silencieux, c’est donc qu’ils participent d’une certaine façon à notre débat. Je n’en oublie pas pour autant la réalité sociale. J’ai déjà dit que nous devions essayer de connecter les gens qui ne le sont pas. Ça passe par la création de nouveaux outils et aussi par un travail de proximité, d’où l’importance de l’action locale. En même temps que notre réseau humain se densifie, le peuple du silence disparaît peu à peu. En tout cas, c’est ce que je souhaite.PS2 : L’essence du web 2.0 pourrait être le gagnant-gagnant. J’espère que nous allons réussir à construire une société gagnant-gagnant et abandonner l’actuel mode de jeu à somme nulle.PS3 : Si quelqu’un trouve un titre génial pour mon nouveau livre, il peut essayer de me le vendre, c’est son droit. Si quelqu’un m’offre un titre superbe, j’espère ne pas l’oublier. Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?Pour ma part, je donne de temps en temps des conférences et je ne me fais quasiment jamais payer, souvent même pas payer les déplacements. J’ai déjà dépensé plus que ne me rapportera jamais Le peuple des connecteurs. Je le fais parce que je crois que certaines idées méritent une plus large audience.Donner une idée, ça ne coûte rien. Les idées ne coûtent rien. C’est leur mise en application qui est coûteuse. J’ai commencé à cérire un bouquin qui s’appelle J’ai eu l’idée. Un jour, je distribuerai gratuitement cette liste d’idées. J’attends d’en avoir 500 pour que ça ressemble au Je me souviens de Perec. Je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas envie de faire des cadeaux. J’ai un jour donné une voiture à une amie. Chaque fois qu’elle va au travail avec doit-elle me payer quelque chose ?Je sais que je caricature, c’est juste pour redire qu’il n’y a pas de règle. Je peux inviter des gens à bosser gratuitement pour moi, s’ils acceptent je suppose qu’ils sont intelligents et qu’ils trouvent leur compte à cette collaboration. Combien de petits soldats travaillent gratuitement pour nos hommes politiques ?Quand je publie un papier sur Agoravox, je fais un cadeau, non pas à Carlo Revelli, mais aux lecteurs d’Agoravox qui me liront. Je pourrais très bien aller vendre certains de mes papiers à des magazines. J’ai vécu de cette façon il y a plus de dix ans, ce n’est pas un problème, ce n’est pas difficile. Si je ne le fais pas, ce n’est pas que Carlo me flouse, c’est que j’ai envie d’entrer dans son jeu.Dee Hock explique que personne n’a jamais été récompensé pour avoir proposé le nom Visa. Ça s’est fait comme ça. Et je trouve que c’est bien. Quelle importance que nous ayons presque tous aujoud’hui le logo Visa collé sur notre carte de crédit ? Si j’avais trouvé le nom, ça m’aurait amusé.Je crois que nous devons laisser les gens libres se débrouiller entre eux. Je suis sûr que ceux qui m’ont proposé des titres ont accepté cette règle tacite. Je crois qu’ils étaient tous conscients de ce qu’ils faisaient. Que ceux qui ne l’ont pas fait ne soient pas nécessairement conscient ce n’est même pas un problème. Pour résumer, je crois qu’il ne faut pas prendre les gens pour plus con qu’ils ne sont… même si c’est dans leur intérêt. Je parts toujours du principe que les gens avec qui je discute sont intelligents.PS4 : Est-ce que Google nous prends pour des cons ? Il utilise nos contenus pour enrichir son index. Mais comme il nous envoie des clients, nous pouvons dire que c’est du gagnant-gagnant.En fait, il ne faudrait accepter que les échanges gagnant-gagnant. Si tu trouves un titre pour mon livre, je t’attribue le titre dans les remerciements, tu bénéficies d’un peu de pub ou de reconnaissance, c’est une façon de jouer gagnant-gagnant, même si nous ne gagnons pas nécessairement à 50/50. Avec Google, ce n’est jamais du 50/50 n’ont plus. Ce qui importe, c’est de gagner des deux côté.Avec Google, tu as un contrat tacite. Tant que Google exploite ton contenu, tu gagnes. Avec mon histoire de titre, c’est la même chose. Tant que le livre sera disponible, tu gagneras en visibilité. En revanche, lorsqu’une entreprise t’invite à un focus group et que tu trouves pour elle une idée, tu n’es jamais récompensé. On t’achète avec un joujou et après tu gagnes rien. C’est inacceptable, c’est le capitalisme. On t’utilise, puis qu’on te jette.