L’imprévisibilité n’est pas une idée, elle est aujourd’hui un fait scientifique. Nassim Nicholas Taleb explique pourquoi nous n’avons pas envie de l’accepter. Une fois conscient de ce qui se passe dans notre tête, nous devrions être un peu plus sages. Mais ça ne semble pas évident pour tout le monde. Je reviens donc sur le sujet.
1/ Les futurs probables n’existent pas. Il est impossible de définir la probabilité d’un futur donné sinon en s’accordant une marge d’erreur faramineuse. Bien sûr, les analystes en tout genre ne peuvent pas être d’accord car leur gagne-pain est la prévision. Mais il suffit de regarder en arrière pour constater qu’ils se trompent presque toujours. Leur taux d’erreur est monstrueux.
2/ Parmi les futurs probables, il y a toujours des futurs opposés, logique au vue de la marge d’erreur. Comment choisir entre ces futurs pour mener une politique à long terme ?
3/ Rien n’empêche de mener des politiques à long terme mais il faut savoir qu’elles reviennent à parier sur l’avenir. Nul ne peut savoir ce que sera le long terme. On peut décider de réduire à long terme les gaz à effet de serre. Ce n’est pas pour ça que nous connaîtrons le climat ou le niveau de pollution à long terme. Bien sûr, ce n’est pas une raison pour ne pas agir. Mais il ne faut pas se chercher des justifications chez les oracles.
4/ La plupart d’entre-nous menons nos vies avec des politiques à long terme. Une politique à long terme est une politique suivie avec persévérance (ce qui est antinomique avec nos démocraties où les têtes changent sans cesse). Elle commence aujourd’hui et elle est faite pour durer.
5/ Personne ne peut gérer le futur intelligemment. Le futur est inintelligible car il est totalement inconnu à cause des hasards de type deux. Essayer d’être intelligent avec le futur, c’est être intelligent tout de suite, ne pas faire de connerie tout de suite. Si le climat se détraque, c’est à cause de nous, c’est à nous de changer les choses maintenant. Nous devons cesser de faire des plans sur la comète.
6/ Il est vrai que nous savons modéliser les comportements sociaux. Tous ces modèles ont pour caractéristique d’engendrer des situations imprévisibles, même en simulation. Une modélisation permet de comprendre les interactions, de comprendre comment s’organise la complexité, elle ne permet pas de la faire disparaître. Une modélisation n’aide en rien à prévoir l’avenir. Elle permet juste d’envisager une infinité d’avenirs possibles. Pour obtenir cette diversité, il n’est même pas besoin d’intégrer des hasards de type deux, tant est grande la sensibilité aux conditions initiales de presque toutes les simulations.
7/ Tout ce que je dis c’est qu’il faut arrêter de faire de la politique comme si l’avenir était écrit. S’il était si facile de prévoir l’avenir, il serait encore plus facile de faire fortune.
PS1 : Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas agir. Au contraire, il faut agir maintenant. Oui, nous devons abaisser les émissions de gaz à effet de serre. Mais il ne faut pas dire que, si nous ne le faisons pas, nous serons dans la merde dans vingt ans. Nous sommes justement déjà dans la merde.PS2 : Je ne suis pas contre les politiques à long terme, au contraire. Mais une politique à long terme ne doit pas être une politique qui escompte des résultats hypothétiques dans une échéance encore plus hypothétique. Le discours politique doit simplement intégrer l’imprévisibilité.PS3 : L’honnêteté politique serait d’avouer qu’on joue avec le feu, pas prendre les gens pour des cons en leur vendant des projections séduisantes. Je suis joueur, j’aime le jeu, je crois qu’il faut prendre des risques mais il faut que tout le monde en soit conscient. Les politiques aussi sont des joueurs mais ils ne l’avouent pas.PS4 : Je suis par exemple pour une politique à long terme qui favoriserait l’action locale par rapport à l’action globale. Aucun politique ne défendra cette idée car il se saborderait lui-même, mais passons, ce n’est pas le sujet. Je suis en faveur de l’action locale car je crois qu’elle peut avoir des effets tout de suite. N’est-ce pas comme ça que nous menons nos vies d’ailleurs?PS5 : Tout ce que je constate c’est que Nassim Nicholas Taleb a vu juste. Peu d’entre nous acceptent l’idée d’un avenir totalement imprévisible. Presque tout le monde cherche à retomber sur ses pieds en invoquant une théorie ou une autre. Mais si une de ces théories marchait, son inventeur serait déjà l’homme le plus riche du monde. Pour le moment, cet homme là s’appelle Bill Gates et il joue ici et maintenant.