L’imprévisibilité de l’avenir est l’une des principales raisons qui devrait nous inciter à agir localement. Nassim Nicholas Taleb s’apprête à publier un livre, The Black Swan, qui discute de l’imprévisibilité.

Pour essayer de convaincre de l’imprévisibilité du monde, je donne souvent l’exemple du tas de sable sur lequel on laisse tomber un nouveau grain. Nous savons aujoud’hui qu’il est impossible de prévoir ce qui se produira. L’avalanche qui s’en suivra entraînera-t-elle un, dix, cent ou un million de grains ? Nous ne pouvons pas le prédire. La seule façon de savoir ce qui se produira, c’est de faire l’expérience. La seule façon de connaître l’avenir, c’est de vivre jusque là.

La plupart des gens acceptent cette idée mais ils refusent d’en tirer toutes les conséquences. Notre société étant bien plus complexe qu’un tas de sable, l’imprévisibilité y est au moins égale. Un homme politique qui prend une mesure pour son pays n’a aucun moyen de savoir si elle sera efficace ou non. Il est totalement irresponsable. Et pourtant nous leur faisons confiance, nous continuons de voter pour eux, la démocratie représentative nous paraît le meilleur système du monde.

Nassim Nicholas Taleb vient de me faire comprendre pourquoi nous sommes aussi irrationnels. Les êtres humains et leurs ancêtres ont vécu au cours de l’évolution dans un environnement où peu d’évènements extraordinaires se produisaient. Il y avait du hasard dans leur vie, mais un hasard que Taleb appelle de type un : rencontrer un prédateur, se blesser par accident, essuyer un orage… Ce hasard peut être simulé par un jet de dé, c’est un hasard simple qui laisse beaucoup de chance d’anticiper l’avenir. Ainsi notre cerveau prit l’habitude de se projeter en avant, c’est sans doute une de nos capacités fondamentales. Et c’est sans doute pourquoi nous continuons de faire confiance aux hommes politiques.

Taleb remarque qu’aujourd’hui nous faisons souvent face à des hasards de type deux, des hasards qui échappent à toute prévision. Il les appelle des black swans. Ainsi, par exemple, nous n’avons pas prévu le développement d’internet ou la chute du mur de Berlin. J’écris nous parce qu’il y a toujours quelqu’un pour tomber juste parmi les six milliards d’êtres humains. Ça s’appelle un coup de chance. Mais ce coup de chance ne peut faire oublier la malchance de tous les autres.

Les événements extrêmes que nous rencontrions [primitivement] n’étaient pas assez fréquents pour que nous apprenions d’eux, ils étaient même si souvent catastrophiques que la population concernée disparaissait très souvent, dit Taleb.

Nous n’avons donc pas appris à vivre dans un monde imprévisible, d’où, sans doute, la passion actuelle pour les oracles en tout genre. Nous ne voulons pas admettre que nous ne savons pas prédire, les politiques encore moins que les citoyens car ils nous jurent qu’ils régleront tous nos problèmes.

Cette confiance est massivement dangereuse, dit Taleb.

Début 2004, un analyste lui montre une courbe décrivant l’évolution du prix du pétrole. Vingt-cinq ans plus tard, soit en 2030, le baril devait coûter 27 $. Six mois plus tard, l’analyste de ravisa : il fallait plutôt tabler sur 75 $. Nous ne sommes qu’en 2006 et le baril vient de franchir les 75 $ !Cette prévision fausse peut prêter à sourire mais nos gouvernants s’appuient sans cesse sur de telles prévisions, toujours fausses car il ne peut en aller autrement. Les gouvernants doivent cesser de consulter madame Irma.

Qui peut savoir quel sera le prix du pétrole en 2025 ? Personne. Nous ne pouvons même pas jurer qu’il sera plus cher qu’aujourd’hui. D’ici là, nous aurons peut-être découvert une nouvelle technologie qui aura chassé le pétrole aux oubliettes ou nous aurons réussi à le synthétiser à moindre coût.

Parce que nul n’est prophète, il faut arrêter de mener des politiques qui s’appuient sur des anticipations. Il faut régler les problèmes maintenant. Ne pas dire je baisserai le chômage dans cinq ans, mais dire je le baisse tout de suite. Et si on a l’espoir insensé de le baisser dans cinq ans, il faut alors avouer qu’on tente un coup de poker, qu’on prend les citoyens en otage dans une partie où ils ont beaucoup de chances de perdre. Un code de bonne conduite du politique pourrait dire :

  1. ne faire aucune promesse,
  2. ne pas écouter les futurologues,
  3. avouer être un joueur de poker.

Mais le poker me paraît dangereux quand il s’agit de prendre des mesures qui risquent de mettre en danger l’équilibre écologique et social de la planète. Je crois qu’il faut éviter de jouer à grande échelle. Un coup de poker malheureux peut être catastrophique. Il faut essayer d’agir petit, d’agir local. Faire des expériences et en tirer les conséquences. Les actions locales ne sont pas plus prévisibles que les actions globales mais, en cas de problème, il est plus facile d’adopter une autre approche, d’arrêter les dégâts avant qu’il ne soit trop tard.

La biosphère dans son ensemble a besoin d’une révolution politique. C’est à chacun de nous de penser local. Nous devons tous essayer d’aller à l’encontre de notre sentiment que l’avenir est prévisible.