Suite à mon article Esclavage 2.0 aussi publié sur Agoravox, je suis tombé sur un article de Wired intitulé The Rise of Crowdsourcing, article résumé en français sur Internet Actu.
Le crowdsourcing, c’est l’utilisation de la puissance productive des internautes. Dans Wired, Jeff Howe écrit :
Comme le projet SETI exploite la puissance de calcul inemployée de millions d’ordinateurs, les réseaux de travail distribués exploitent au travers d’internet la puissance de calcul inemployée de millions de cerveaux humains.
Cette déclaration m’a fait penser à celle de Patrick Le Lay, PDG de TF1 :
À la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont vocation de le rendre disponible. C’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du cerveau humain disponible.
D’un côté, TF1 veut rendre les cerveaux disponibles pour leur vendre les salades des annonceurs ; de l’autre, les sites collaboratifs utilisent cette disponibilité pour créer quelque chose de neuf. Nous nous retrouvons face à deux mondes antagonistes : celui du consommateur passif face à celui de l’internaute actif. En politique, ça se traduit par un autre antagonisme : la démocratie représentative face à la démocratie participative.
Le crowdsourcing fonctionne déjà très bien. Il est à l’origine du web, de l’open source, de Wikipedia, d’Agoravox… Les sites commerciaux l’exploitent plus ou moins abondamment, de façon plus ou moins transparente.
Deviendra-t-il la norme, tout comme démocratie participative ? À force de participer sur le web, les gens finiront bien par se demander pourquoi on les empêche de participer à la vie politique.
Beaucoup de gens ne sont évidemment pas d’accord avec cette idée. Parmi eux, les privilégiés qui ont déjà le droit de participer : les experts notamment.
Exemple, développé dans Wired d’ailleurs : un photographe professionnel se plaint que ses clients préfèrent de plus en plus des photos d’amateur distribuées quasi gratuitement sur les sites collaboratif comme iStockPhoto. Quel est le problème ? Les clients sont-ils stupides ? Non. Pourquoi payeraient-ils cher ce qui est disponible pour presque rien ? Et puis qui a décidé que le professionnel était meilleur qu’un amateur ? N’est-ce pas les clients ? S’ils se détournent du professionnel, c’est qu’il n’est plus à la hauteur, en tout cas par rapport l’attente des clients.
La question est alors de savoir comment les amateurs survivent ? Imaginons qu’un photographe amateur soit un peintre en bâtiment. Que se passera-t-il quand des peintres amateurs casseront les prix des travaux de peinture ? Toute l’économie ne s’écroulera-t-elle pas comme un jeu de dominos ? Je ne le crois pas. Nous sommes presque tous des peintres amateurs et il y a toujours des peintres professionnels.
Le problème des photographes professionnels est celui de l’offre et de la demande. Les photos de qualité étaient rares et chères, et, en plus, elles étaient difficiles à trouver. Aujourd’hui, faire des photos est plus facile que jamais et, en plus, il est facile de les diffuser, donc de les soumettre à la critique. Du coup, le marché de la photographie s’ouvre peu à peu. Il ne se partage plus entre une poignée de photographes professionnels qui gagnent beaucoup d’argent mais entre des millions d’amateurs qui gagnent peu d’argent. Au final, le monde de la photo est devenu plus démocratique.
Une nouvelle question surgit toutefois : la somme d’argent dépensée par les clients est-elle restée la même ? Comme je n’ai aucun chiffre, je ne peux que faire des conjectures. Le chiffre d’affaires des banques d’images a peut-être baissé mais celui des banques collaboratives s’est accru : +14 % par mois pour iStockPhoto. Si chacun des clients dépensent moins, il y a en revanche de plus en plus de clients, à commencer par les sites web qui ne peuvent pas toujours s’appuyer sur des images libres de droit.
Nous assistons simplement à une redistribution des cartes. Est-ce dramatique ? Pour les photographes professionnels oui, sans doute, mais pas pour les photographes amateurs qui estiment que leur photos ont un intérêt.
Cette histoire, qui aurait pu être illustrée par d’autres exemples, montre que les experts sont une espèce en voie d’extinction. En tout cas les experts arrogants. Nous allons tous nous retrouver en situation de plus grande compétition. Aucun titre, aucun privilège, ne nous confèrera une autorité indéfectible. La révolution française n’a été qu’une étape dans vers la fin des privilèges. Le web fait un pas plus loin.
Je ne dis pas qu’il supprimera tous les privilèges. Il en crée même d’autres. Mais je crois qu’il diminuera leur nombre et nous conduira vers une société plus juste, ce qui ne veut pas dire idéale.
PS : Internet est une démocratie participative. Les décisions se prennent au niveau local entre quelques individus, puis elles remontent quand d’autres individus les adoptent. C’est cela que j’appelle la démocratie participative, ce n’est pas un système où tout le monde donne son avis en même temps.