Un lecteur m’a envoyé par mail quelques questions au sujet du peuple des connecteurs. Je vous fais partager mes réponses.
Votre livre préfigure une nouvelle façon de voir le monde à travers l’auto-organisation qui serait le point médian entre l’ordre forcé et le chaos. Pour arriver à ce stade où les idées remontent de bas en haut, n’est-il pas nécessaire de donner une autre orientation à la structure hiérarchisée actuelle sans pour autant la démonter ?
Qui donnera la nouvelle orientation ? C’est la vraie question. Donner une nouvelle orientation est un problème hautement complexe. Cette nouvelle orientation ne peut venir du haut puisque je montre l’inefficacité de cette méthode pour régler les problèmes complexes. La nouvelle orientation doit donc être donnée par chacun d’entre nous, elle doit partir du bas. Il n’est nul besoin d’abattre le système hiérarchique actuel, il peut très bien se laisser remplacer progressivement (le replacement brusque et violent étant aussi possible même si je ne le souhaite pas).
Selon vous, cette société bottum-up stimulerait la recherche d’idées et favoriserait les synergies afin d’aller vers une meilleure complexité. Dans cette perspective, le chef aurait un rôle de facilitateur. Il mettrait les individus en contact les uns les autres. Comment en arriver là sans l’abandonner complètement l’ancien système, car ce serait enlever des garde-fous qui donnent sa stabilité à la société ?
Les structures hiérarchisées sont efficaces pour régler des problèmes simples ou pour régler momentanément des problèmes complexes. René Berger insiste sur ce dernier point. Les USA ont réglé momentanément le problème complexe de la paix en Irak en éliminant Saddam Hussein, puis la complexité a ressurgi.
Il ne faut donc pas se priver des hiérarchies mais les employer dans les cas où elles peuvent fonctionner. Nous vivons dans un monde hautement hiérarchisés et les dérapages sont très nombreux, à commencer par les dérapages écologiques. Les hiérarchies ne sont pas une garantie de stabilité, bien au contraire. Leur manque de souplesse et de réactivité ne convient notamment pas aux situations de crise. L’auto-organisation est le meilleur moyen d’empêcher les dérapages.
Le commun des hommes voit dans ce que vous proposez une utopie. Notre monde a besoin que les choses se passent en douceur pour pouvoir évoluer même si ce que vous proposez est de mettre parfois le monde devant le fait accompli.
L’auto-organisation n’est pas une utopie puisqu’elle est déjà largement à l’œuvre dans notre monde. Internet est auto-organisé, le trafic routier aussi, les villes aussi... Je propose juste de regarder ce fait en face, de capitaliser dessus, de ne pas se laisser obnubiler par les hiérarchies trop visibles dans nos sociétés. Oui, l’auto-organisation est un fait accompli. Et elle peut être plus visible.
D’autre part, l’évolution en douceur est une utopie. L’évolution biologique et sociale n’ont jamais été continues. Elles se jouent toujours par secousses. Nous n’en sommes plus à l’époque de Darwin : nous avons compris que les catastrophes jouaient un rôle central dans les processus évolutifs.
Les intégristes chrétiens cherchent d’ailleurs à s’accrocher au modèle darwinien initial : celui d’une évolution continue. Cela les aide à réfuter l’évolution. Pour eux, l’absence d’une continuité de fossiles démontre que l’évolution n’existe pas. Ils ont raison, une évolution continue n’existe pas, une évolution discontinue oui.
Vous évoquez la possibilité de disposez de votre corps pour tester sur soi les produits de demain. Cette pratique est une certaine forme de dopage dont vous faites malheureusement l’apologie. Nous avons plutôt besoin de suivre un rythme naturel et certainement pas d’être bousculée par l’absorption de substances.
Comme je l’ai dit plus haut, le rythme naturel est celui des évènements violents. En disant que nous ne devons pas avoir peur de prendre des risques, je suis en fait presque trop naturaliste. L’histoire de la vie et celle des hommes n’a jamais été un long fleuve tranquille. Par ailleurs, nous sommes déjà entrés dans une civilisation du dopage généralisé (café, alcool, cannabis, tranquillisant, viagra...). Pourquoi le nier ? Je crois que nous devons regarder en face cette réalité, ça nous permettra de mieux la gérer.
Vous parlez aussi dans votre livre de l’immortalité. À mon sens, l’immortalité n’appartient pas aux hommes mais plutôt à Dieu. Désolé, si je vous réponds sur cette question de façon trop raccourcie. Notre monde a besoin que le spirituel ait sa place pour mieux contrer les dérives possibles de la science, sinon ce serait dangereux pour notre humanité. Aussi, je vous mets en garde par rapport à ces possibles dérives où l’homme tente de rivaliser avec Dieu.
Je ne cesse de montrer que nous développons en ce moment une spiritualité sans divinité. C’est ce que j’appelle la conscience du tout pour faire bref. Je vous invite à lire quelques uns de mes derniers posts : Cosmists vs Terrans et La singularité notamment.
Pour ma part, participer à l’aventure humaine donne beaucoup de sens à ma vie. J’ai envie que l’aventure de la conscience se poursuive. Prolonger la vie des consciences me paraît une bonne chose, ça impliquera une plus grande conscience du tout, car une forme de vie plus pérenne que l’homme actuel devra nécessairement tenir compte des conséquences de ses actes.
Et puis, ne rien faire pour faire évoluer l’homme serait le mettre en danger. Une espèce qui n’évolue plus ne peut rester adaptée à un environnement qui lui évolue. Or, nous ne pouvons pas figer la biosphère dans son état actuel. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous transformer.
PS : Je n’ai jamais lu Dee Hock. Mais si je comprends bien le vocable Chaordic (entre chaos et ordre) c’est de cela que je ne cesse de parler. Merci de la référence.