Le futurologue Ray Kurzweil a essayé de montrer que nous vivions une époque de progrès technologique exponentiel : les 20 premières années du XXIe siècle devraient nous apporter autant d’innovations que tout le XXe siècle. J’aime plutôt cette idée mais il me semble que le software n’évolue pas si vite que ça. C’est une intuition, j’ai un peu réfléchi à cette question... et j’ai fini par me dire que mon intuition était fausse et que Kurzweil avait sans doure raison.
La grande pyramide de Khéops a été construite en 20 ans par environ 20 000 ouvriers. Microsoft aura construit Windows Vista en 6 ans, employant une armée presque aussi grande de développeurs, dotés de toutes les technologies de pointe, aidés par des centaines de sous-traitants. Microsoft s’est donc engagé dans une œuvre titanesque, une œuvre digne des pharaons.
Malheureusement, je suis persuadé que cette œuvre ne marquera pas notre histoire. D’après ce que je sais de Vista, ce n’est ni plus ni moins qu’un Windows relooké avec quelques gadgets. Les révolutions annoncées en 2001 lors du lancement du projet, sont retardées, voire abandonnées, non pas par manque d’intérêt, mais parce que Microsoft n’a pas réussi à formaliser ses rêves.
Toute l’énergie déployée par les Microsoftees n’aura servi à rien. Je ne crois pas qu’ils soient incompétents, je crois qu’ils se sont attaqués à quelque chose d’impossible. Ils ont oublié que les structures complexes devaient suivre l’exemple des créatures biologiques : commencer petit, grandir, évoluer... Ils ont oublié de suivre l’exemple du web qui, lui, montre une réelle vitalité.
Bill Gates, le grand architecte, a voulu planifier l’avenir de l’informatique à la façon des hommes politiques qui veulent prévoir l’avenir des États qu’ils dirigent. Comme eux, il avait toutes les chances de se planter, comme eux il s’est planté. L’avenir ne se décide pas a priori, nous avançons vers lui pas à pas. En informatique, seule l’approche open source, distribuée, non hiérarchique, organisée en réseau, nous permettra de développer des structures de plus en plus complexes.
Pour moi, comme je l’ai écris dans un livre en 2003, cette approche cyberlibertaire n’a pas fonctionné avec Linux. Les Linuxiens se sont trop focalisés sur Windows et Microsoft, oubliant que leur force était dans l’innovation. En revanche, dans le domaine du web, la méthode de l’open source prouve sa redoutable efficacité. La nouveauté jaillit d’une multitude d’initiatives qui s’interconnectent et se fécondent mutuellement.
Si nous regardons l’histoire de l’informatique à l’aune des logiciels édités par Microsoft et ses concurrents, il ne se passe pas grand-chose depuis quinze ans. Le software évolue peu alors que le hardware, lui, reste accroché à une croissance exponentielle.
Mais on peut adopter une autre perspective. Aujourd’hui, l’innovation informatique n’est plus entre les mains de Microsoft ou de quiconque en particulier. Elle n’est pas estampillée par un logo, puis scellée dans une boîte en carton plastifié vendu chez Surcouf et Cie. Elle est partout en même temps. Elle forme l’essence du réseau. Je crois que le réseau devient notre software, je crois qu’il connaît effectivement une croissance exponentielle. Mais elle est sans doute impossible à évaluer puisqu’elle est qualitative plus que quantitative.