Isabelle Filliozat m’a demandé d’être plus clair sur quelques points à ses yeux litigieux dans Le peuple des connecteurs. Dans le chapitre Ne pas travailler, page 199, j’ai écrit :
Pourtant, comme Johnny Rotten, les connecteurs peuvent aussi clamer qu’ils ne travaillent pas, qu’ils prennent leur pied, qu’ils n’ont besoin que de ça, qu’ils sont libres. Pour eux, le travail est un moment de vie comme un autre et non une valeur ou un gagne-pain. Nous ne travaillons plus pour un patron mais avec nos amis. Le matin, comme les moines de l’abbaye de Thélème et suivant la règle de Gargantua, nous n’utilisons aucun réveil, le pire instrument de torture jamais inventé. Nous oublions les anciennes règles du business. Dans les bureaux, nous ressemblons à des punks avec nos jeans rapiécés. Seuls quelques commerciaux en costume perpétuent une tradition désuète et entretiennent l’idée reçue que rien ne change.
Il suffit d’une recherche sur Google au sujet des tortures pour comprendre que le réveil ne peut être considéré comme un instrument de torture que pour un occidental surprotégé comme moi. Si j’ai vraiment souffert à cause des réveils durant les années où je travaillais, ce n’est pas une raison pour oublier les souffrances bien plus terribles des autres humains, souffrances vécues en ce moment même, un peu partout dans le monde. Le nombrilisme peut nous laisser dire des énormités.
J’aurais du me contenter d’écrire que nous pouvons très bien vivre sans réveil, sans imposer tous les jours à notre organisme une épreuve assez dure. Que l’habitude faisant, nous finissons par trouver un rythme de sommeil qui ne nous met pas en retard. En plus, pour les gros dormeurs, il existe aujourd’hui des réveils simulateur de l’aube qui nous tirent des songes en douceurs. Encore mieux, des réveils intelligents, grâce à un capteur, attendent les phases de sommeil sans rêve pour nous éveiller sans malaise. Ils sonnent un peu plus tôt ou un peu plus tard que l’heure prévue, au moment où la sensation de réveil sera la plus agréable.
Le second point soulevé par Isabelle est encore plus scabreux. Dans le chapitre Ne pas mourir, page 280, j’ai écrit :
Lors de mes recherches sur le transhumanisme, j’ai toutefois ressenti un jour un frisson déplaisant. Sur un site Web américain, j’ai trouvé une définition qui me plaisait et j’ai commencé à la traduire :
-- Dans un futur proche ? au cours de la vie de beaucoup de gens vivant aujourd’hui ?, il sera possible de perfectionner nos cellules. Tomber malade, attraper un rhume ou même mourir ne seront plus une fatalité. Les gens pour qui ces perspectives ne sont pas de la science-fiction sont des transhumanistes.
L’auteur semblait sérieux, j’ai poursuivi la lecture avec intérêt jusqu’à tomber sur un lien intitulé Six raisons prouvant que les chambres à gaz sont une invention. J’ai immédiatement effacé ma traduction, puis je me suis ravisé. Le transhumanisme, avec son rêve d’un nouvel homme, rappelle trop le nazisme par certains côtés ; je ne veux pas le passer sous silence. Le risque de confusion me paraît inévitable et des auteurs en profitent. Comme dans tout mouvement, il y a des brebis galeuses. Mais que les choses soient claires : le transhumanisme, tel que je l’ai compris dans les textes de Bostrom et d’autres, est un humanisme. Il rêve d’améliorer l’homme grâce à la technologie, non par la sélection d’une élite ou par l’épuration raciale. »
Oui, je n’ai pas condamné explicitement le révisionnisme. Je m’en veux maintenant. Les propos relevé sur ce site sont si inacceptables que je n’ai pas pensé une seconde que quelqu’un pourrait croire que je les cautionnais.
Je peux essayer, peut-être, de justifier ma bévue. J’avais dix ans quand j’ai visité un camp de concentration en Allemagne. C’était pendant les vacances de Pâques, tout début avril. J’étais parti du midi habillé légèrement, en tennis, juste avec un pull. En Allemagne, il faisait un froid terrible, il y avait de la neige dans la forêt Noire. J’ai traversé le camp en frissonnant, j’ai visité les chambres à gaz en frissonnant, j’ai vu les photos en frissonnant, le frisson du froid et de l’horreur se sont mêlés en moi à tout jamais. La réalité des exécutions massives est si ancrée en moi que je suis incapable d’imaginer qu’on puisse en douter.
Cette justification a posteriori est tout ce que je peux faire maintenant. J’aurais du dire que des révisionnistes se revendiquaient transhumanistes et que ces revendications sont inacceptables pour les transhumanistes. Le transhumanisme est un humanisme, il suppose qu’il n’y a pas de fatalité biologique, que nous pouvons nous élever, prendre en main notre propre évolution.